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principaux, sont bien de ce temps-ci; l’une succède en leur emploi à Sylvia et Araminte. mais comme une cousine de Froufrou et de la Petite Marquise; c’est une duchesse d’après plusieurs révolutions. Dorante, Lisidor, le marquis et le cheviller se fussent ruinés au pharaon, Jacques s’est ruiné au baccarat; de même, il aime à sa façon, qui n’est pas l’ancienne : amour selon le monde, amour selon la nature, il en offre deux nuances qui sont nouvelles, comme est aussi la désinvolture coquette de la duchesse et l’innocence avisée de Simonne.

Des variétés inédites de sentimens humains, éternels, voilà ce que montre l’auteur, et c’est la bonne façon de se mettre après les classiques; il donne tout juste, et non à un degré près, ces sentimens tels qu’ils se produisent dans la société de son temps; il les exprime par le propre langage de cette société. Jargon, si l’on veut : ce jargon est celui du monde, à une certaine époque, la nôtre ; seul, dans sa familiarité sincère, il rend certains états de certaines espèces d’âmes. Voilà, au vrai, comment causent, à l’ordinaire, les gens d’aujourd’hui et d’un certain ordre ; il est assez rare le plaisir de retrouver dans une œuvre littéraire le timbre et le ton de leur langage. Qu’on nous laisse jouir en paix de cette propriété d’expression, de cette justesse, et les recommander aux curieux de l’avenir : ici, plus que partout ailleurs, ils trouveront le diapason de l’époque. On peut se récrier que ce diapason est bas et indigne de la Comédie-Française. Ainsi, lorsqu’en 1847 M. Buloz fit jouer le Caprice, l’éminent acteur qui avait créé le comte de Rantzau dans Bertrand et Raton, Coquenet dans la Calomnie, Saint-Géran dans une Chaîne et Miremont dans la Camaraderie, — Samson, pour le nommer, — habitué au style de M. Scribe, s’écria de bonne foi : « Rebonsoir, chère!.. En quelle langue est cela? » Le Caprice, Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, voilà encore des riens, sans doute, indignes de la majesté d’un théâtre d’état : ils ont chance de durer pourtant, et chacun de ces riens ou ce peu de chose est tracé par la plume d’un artiste, exactement selon le tour qu’affectait la société de son temps.

On avait dit de Marivaux, par un scrupule pareil à celui de Samson, « qu’il eût été mieux placé à l’Académie des sciences, comme inventeur d’un idiome nouveau, qu’à l’Académie française, dont assurément il ne connaissait pas la langue. » C’est que Marivaux, de propos délibéré, affectait un autre idiome, en effet, que la plupart de ses confrères. Les auteurs, disait-il, « ont un style qui leur est particulier; on n’écrit presque jamais comme on parle. » Pour sa part cependant, « c’est la nature, c’est le ton de la conversation qu’il essayait de prendre ; » il voulait « saisir le courant des idées familières et variées qui y viennent... » — « Entre gens d’esprit, ajoutait-il, les conversations dans