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populaire. On lui demande compte de ses fautes, des contradictions ou des défaillances de sa politique extérieure, des déceptions dont cette affaire d’Égypte a été l’inépuisable source, d’une sorte d’impuissance humiliante pour l’orgueil britannique ; on lui reproche des conditions qu’on ne connaît pas, les concessions qu’il est censé avoir faites. Les tories, sous la direction de lord Salisbury, de sir Stafford Northcote, engagent passionnément la lutte contre lui sur cette question délicate ; beaucoup de libéraux eux-mêmes semblent éprouver un singulier malaise, et c’est ce qui fait que le ministère va se trouver inévitablement aux prises avec de vraies difficultés le jour où il soumettra au parlement, comme il l’a promis, le résultat de sa négociation avec la France ; il aura sans doute à subir un terrible assaut. Que peut-on exiger de lui, cependant ? Est-ce sérieusement qu’on parle de décréter l’annexion de l’Égypte, ou, ce qui reviendrait à peu près au même, de déclarer purement et simplement le protectorat anglais dans la vallée du Nil ? C’est une politique plus facile à proposer qu’à réaliser, et qui créerait à l’Angleterre plus d’une difficulté en Europe, sans parler même des difficultés militaires et financières d’un établissement en Égypte. Il est assez singulier, dans tous les cas, qu’on propose l’annexion ou le protectorat comme des remèdes à un état de désordre et d’anarchie qui s’est développé et aggravé justement sous la domination anglaise. Le ministère a encore une chance, c’est que les libéraux, qui semblent disposés à se détacher de lui, réfléchiront au dernier moment avant de se prêter à provoquer une crise qui serait la défaite de leur parti, la chute du cabinet qui les représente au pouvoir, une sorte de révolution dans la politique britannique. Il y a, en effet, deux intérêts des plus sérieux engagés dans cette phase difficile et laborieuse des affaires anglaises. Il y a l’intérêt libéral qui s’attache à l’existence du ministère de M. Gladstone ; il y a aussi l’intérêt des bonnes relations avec la France, et si l’alliance de l’Angleterre a toujours pour nous une importance que nous ne déguisons pas, l’alliance de la France n’est point non plus, après tout, inutile à l’Angleterre elle-même dans l’état présent du monde.

En tout pays, les partis ont leur fortune et les scrutins ont leurs surprises. Les élections belges viennent de le prouver encore une fois. Depuis six ou sept ans déjà, les libéraux régnaient en Belgique ; ils avaient la majorité dans les deux chambres ; ils avaient pour les représenter au gouvernement le ministère de M. Frère-Orban. Plusieurs fois, depuis leur arrivée au pouvoir, le parlement a été renouvelé et le succès ne leur avait jamais manqué jusqu’ici. Évidemment, ils espéraient triompher encore au scrutin qui vient de s’ouvrir le 10 juin pour le renouvellement partiel de la chambre des députés. Le résultat a confondu tous leurs calculs ; ce dernier scrutin est un vrai coup de théâtre. Presque partout, à Anvers, à Namur, à Nivelles, à Louvain, à Bruges,