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constructions en cours ou à l’état de projet et on pouvait prévoir qu’un jour elle serait doublée. Était-il possible d’imposer un tel fardeau à une seule administration ? Aucun des six réseaux français, aucun des réseaux particuliers de l’Allemagne ou de l’Angleterre n’avait ni un aussi grand nombre de lignes, ni la même étendue kilométrique. Était-il prudent, d’ailleurs, de mettre aux mains d’une seule compagnie, dont le caractère pouvait se modifier par le transfert de ses actions, la disposition d’un personnel aussi nombreux qu’une : armée, et des moyens d’influence aussi puissans ? Du moment que l’on créait deux réseaux, il était nécessaire de leur donner une importance équivalente pour que l’un des deux n’eût pas à supporter des frais généraux hors de proportion avec son étendue ; il fallait leur assurer des élémens de trafic égaux, mais distincts, de façon à ne point donner naissance à une guerre de tarifs. Mais pourquoi adopter cette division de la Péninsule en deux bandes longitudinales, parallèles aux côtes, lorsqu’on avait déjà construit plusieurs lignes transversales et que l’on projetait d’en construire d’autres afin de multiplier les communications directes entre les deux mers ?

il semblait, à première vue, que le système proposé avait de graves inconvéniens. Le premier était de morceler et, par conséquent, de désorganiser les administrations déjà existantes : il fallait modifier les relations de service déjà établies et refaire l’éducation du personnel, qui allait se trouver dépaysé, avec de nouveaux chefs et de nouveaux règlemens. Un second inconvénient, et non moins grave, était de jeter la perturbation la plus complète dans l’exploitation la plus productive et la mieux conduite, celle des lignes de la Haute-Italie. Cette administration desservait la vallée du Pô dans toute sa longueur : partout, de Gènes à Venise, par Turin et Milan, même personnel, même matériel, mêmes tarifs et mêmes règlemens. Au bout de dix années, quand les habitudes étaient prises, on détruisait un état de choses qui avait donné une grande impulsion aux relations commerciales, on rétablissait la scission des lignes qui existait du temps de la domination autrichienne, et désormais, il ne serait plus possible de passer des anciennes provinces piémontaises en Lombardie sans changer de réseau et sans avoir affaire à une autre administration.

Quel motif avait pu faire passer outre à des considérations aussi sérieuses ? La politique avait pesé de tout son poids dans la balance. La division longitudinale donnait aux deux compagnies fermières un pied dans tous les états dont l’absorption avait constitué le nouveau royaume : elle les intéressait donc toutes les deux au maintien de l’unité, puisque cette unité ne pouvait être détruite sans qu’il en résultât un péril pour leurs capitaux et même pour leur