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existence sociale. En outre, par l’effet des mutations inévitables dans un grand personnel, les deux compagnies seraient amenées, l’une à employer des Napolitains dans le Piémont, des Piémontais et des Toscans dans le royaume de Naples ; l’autre des Calabrais dans les provinces vénitiennes, des Lombards ou des Romagnols à Bari, Brindisi ou Otrante : elles concourraient ainsi au résultat que le gouvernement cherchait à obtenir, en dépaysant systématiquement ses agens, et qui était d’affaiblir les préventions et les inimitiés provinciales et de familiariser les esprits avec l’idée de l’unité nationale. Quant à la pensée de faire desservir les anciennes capitales par les deux réseaux simultanément et de s’assurer ainsi deux voies pour y faire arriver des troupes, c’était une précaution stratégique pour obvier à l’interruption des communications qui pourrait résulter d’un mouvement insurrectionnel ou d’un débarquement de troupes à Livourne, Civita-Vecchia ou Naples.

Ce qui justifie le mode de division adopté par M. Depretis, c’est que, dès qu’on s’en écartait et qu’on dépassait le nombre de deux réseaux, on était irrésistiblement conduit, par la configuration du sol, par l’emplacement des lignes et par la puissance des relations commerciales et des intérêts locaux, à donner aux réseaux que l’on constituait un caractère régional qui recelait un danger politique. Chaque région se serait identifiée avec son réseau particulier, et les chemins de fer auraient ainsi contribué à entretenir et à fortifier les traditions provinciales, au lieu d’aider à les détruire. Ces raisons, qui étaient des motifs déterminans pour un esprit politique comme celui de M. Depretis, touchaient médiocrement les égoïsmes locaux : toutes les villes enviaient la bonne fortune de Milan et de Florence, qui continueraient d’être le siège de grandes administrations, disposant de nombreux emplois, et la résidence d’un haut personnel largement rétribué. La répartition des chemins de fer en un plus grand nombre de réseaux permettait de satisfaire d’autres grandes villes qui croyaient avoir des droits à faire valoir. Le premier amendement proposé à la combinaison de M. Depretis maintenait, sauf de légères modifications, les trois réseaux de la Haute-Italie, des chemins romains et des chemins méridionaux. Un autre amendement, qui était évidemment inspiré par la pensée de faire de Naples un centre d’administration, coupait en deux le réseau de la Haute-Italie, comme le faisait le projet Depretis, réunissait d’un côté les lignes vénitiennes et lombardes aux lignes de la Romagne et de l’Emilie, et de l’autre les lignes du Piémont à celles de la Toscane et de la Maremme, et formait un troisième réseau avec toutes les lignes qui desservent le royaume de Naples, sur le versant de l’Adriatique aussi bien que sur le versant de la Méditerranée. Un