Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/114

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

garde encore extérieurement quelque chose de cette physionomie. Le lieu était admirablement choisi pour s’y retrancher dans une forteresse. L’idée d’élever un château fort dans une vaste forêt, sur un rocher qui surgit au milieu d’un étang, dut venir tout d’abord aux seigneurs de ce pays, dans un temps où l’on était mis en demeure à chaque instant de soutenir un siège dans son propre palais. De ce château primitif, d’ailleurs, on ne sait rien. Il remontait, dit-on, au Xe siècle et aurait été entièrement reconstruit au cours du XIVe. De nouveaux changemens survinrent à la fin du XVe, sous Guillaume de Montmorency, en attendant les transformations plus profondes opérées au siècle suivant. Le connétable Anne ouvrit alors libéralement ses portes à la renaissance, qui s’efforça de rajeunir les anciennes constructions, et Chantilly devint une des plus somptueuses demeures du royaume. Alors aussi fut édifié, en contre-bas du grand château, le petit château (châtelet), qui est resté, sans altérations notables, comme témoin de la belle architecture française au temps des Valois.

Si l’on ignore tout du château qui appartint au moyen âge, on n’est que très incomplètement renseigné sur celui que revendiquait la renaissance. Les informations fournies par Du Cerceau sont tout à fait insuffisantes, et, en dehors d’elles, il n’y a rien. On est donc loin de marcher d’un pas sûr dans la demeure seigneuriale des Montmorency. Du Cerceau nous montre deux châteaux distincts, entourés d’eau l’un et l’autre et formant deux îles reliées entre elles par un pont[1]. Ce qui se dégage surtout de sa description et ce que démontrent les planches gravées qui l’accompagnent, c’est une prédilection spéciale pour le petit château. Il est certain qu’à ses yeux cette annexe seigneuriale prend une importance pittoresque qui, de par les droits de l’art, lui donne le pas sur la seigneurie elle-même. Celle-ci, quoi qu’on y ait fait, n’est toujours qu’une antique bastille. L’architecture nouvelle a eu beau l’habiller de neuf et la parer de tous ses agrémens, ce n’est pas son œuvre ; à travers la renaissance, le moyen âge y reparaît quand même. « Pour le regard de l’ordonnance

  1. « Ce lieu est situé aux confins de la France (de l’Ile-de-France), à dix lieues de Paris, ville capitale, à une lieue de la ville de Sentis. Le bastiment consiste en deux places : la première est une court, sur laquelle sont quelques bastimens ordonnés pour les offices ; la seconde est une autre court, estant comme triangulaire, et est eslevee plus haute que la première de quelque neuf ou dix pieds, et faut monter de la première pour venir à la seconde. Entour laquelle de tous costez est le bastiment seigneurial, faict de bonne matière, et bien basty. Iceluy bastiment et court sont fondez sur un rocher, dans lequel y a caves et deux estages, sentant plustost pour l’ordonnance un laberinthe qu’une cave, tant y a d’allées les unes aux autres, et toutes voustées… Ces deux courts, avec leurs bastions, sont fermez d’une grande eauë" en manière d’étang, dont entre icelles y a séparation comme d’un fossé, par laquelle séparation ladite eauë passe au travers… » (Du Cerceau.)