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Quant au petit château, tout en se conservant intact à l’extérieur, il gagne à l’intérieur des destinations plus hautes. Les salles de service se transforment en somptueux appartemens ; la galerie dans laquelle on peint les Actions de Monsieur le Prince se pare comme pour une apothéose… Arrive le XVIIIe siècle, qui construit les grandes écuries et le pavillon d’Enghien. Il tente aussi de remanier le vieux château, mais sans pouvoir en adoucir, j’allais dire en amollir à son image les sévères aspects… Quand sonna l’heure de la révolution, on put donc avoir l’illusion d’une bastille, se dressant sur son rocher comme une protestation contre les idées nouvelles. On ne songeait guère pourtant à s’y défendre. Mais, dès 1789, les derniers représentans de la maison de Bourbon-Condé[1] ayant donné le signal de l’émigration, l’exaspération populaire ne connut plus de bornes. Ne pouvant s’en prendre aux princes, elle s’acharna sur ce qui leur appartenait. Le château fut d’abord converti en prison. De 1792 à 1794, la terreur y enferma ses victimes, et les y arrêta un instant pour les acheminer de là vers la mort. Après avoir assouvi sa férocité contre les hommes, elle épuisa sa stupidité contre les choses. La vente et la destruction de Chantilly furent décrétées par la convention. La vieille forteresse fut rasée jusqu’à la hauteur de ses fondations. Le petit château, les grandes écuries et le château d’Enghien furent vendus et condamnés aussi ; mais les conditions de vente n’ayant pu être exécutées et la rage de destruction s’étant apaisée, ils entrèrent sains et saufs dans le domaine de l’état et furent restitués en 1316 à la maison de Bourbon.

Aujourd’hui, tout a changé d’aspect[2]. Un nouveau palais s’élève sur les substructions de l’ancien, et l’on a, comme par le passé, sur le rocher semblable à une acropole, le grand château, dominant de toute sa hauteur le petit château, assis dans sa grâce native au bord des eaux tranquilles. C’est en 1875 qu’a été commencée cette vaste entreprise. M. le duc d’Aumale savait parfaitement ce qu’il voulait faire ; ses volontés avaient été longuement réfléchies, et il les dictait avec précision à l’architecte choisi par lui. Il fallait : sur les assises d’une forteresse, construire un château qui répondît aux exigences de la vie moderne ; relier au petit château ce nouveau château et faire en sorte que les deux palais n’en formassent plus qu’un seul ; se tenir emprisonné dans l’enceinte des anciens bastions, sans paraître gêné par la conformation bizarre de cette enceinte ; prendre modèle sur l’architecture de la renaissance, tout

  1. Louis-Joseph de Bourbon, Louis-Henri-Joseph son fils, et Louis-Antoine-Henri, son petit-fils.
  2. Ce fut de 1815 à 1820 qu’on supprima le canal qui avait séparé, durant plus de deux siècles, le grand et le petit château.