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a raconté depuis lors, qu’à ce moment une mesure de sévérité allait être réclamée contre lui-même, désigné comme l’instigateur des désordres du roi, et, qu’averti de ce qui le menaçait, il s’était placé d’avance en face du prélat afin de lui répondre tout haut et de relever le défi. Un tel scandale n’eut pas lieu : la réparation obtenue fut sans doute trouvée suffisante, au moins pour l’édification de la cour. Mais, pour que le peuple entier pût s’associer à la pénitence publique du souverain, la galerie de planches, objet de si fâcheux commentaires, fut démolie dans la soirée et un n’en laissa aucun vestige. La justice divine parut alors satisfaite, et un temps d’arrêt s’étant manifesté dans les progrès jusque-là constans du mal, on commença à espérer qu’elle pourrait se laisser fléchir[1].

Les deux duchesses s’éloignaient cependant rapidement de Metz, précédées d’un courrier de cabinet que le comte d’Argenson avait préposé à leur garde, en apparence pour faciliter leur voyage, en réalité pour s’assurer que rien ne viendrait entraver l’ordre royal. Ce n’est pas l’histoire, c’est le roman ou le drame qui pourrait peindre d’assez sombres couleurs l’état de rage et de désespoir où était plongée l’orgueilleuse favorite emportée ainsi, avec une hâte ignominieuse, loin de l’amant qui la couronnait la veille, dont elle s’était crue chérie, et qui la laissait chasser sans un regret, sans

  1. Mémoires du duc de Luynes, t. VI, p. 39-44-60-62. — Fragment des Mémoires de la duchesse de Brancas. — Ces deux documens sont ceux dont je me sois servi à peu près exclusivement dans le récit de la maladie du roi, en laissant de côté tous les mémoires apocryphes et même toutes les actions romanesques qui abondent sur ce triste incident de la vie de Louis XV. Je l’ai complété à la dernière heure en y ajoutant quelques traits d’une relation écrite attribuée au duc de Richelieu lui-même, très différente de celle qu’on peut trouver dans le recueil de Soulavie, et qui m’a été communiquée par M. A. de Boislisle. Ce juge si compétent affirmant l’authenticité de cette pièce, il n’est pas possible de la mettre en doute quoiqu’elle contredise directement, sur plusieurs points importans, le récit de Luynes, qui, arrivé à Metz le lendemain des scènes qu’il raconte, était en mesure d’être aussi bien informé que personne, et celui de Mme de Brancas, propre belle-mère de Mme de Lauraguais. Ce n’est pas la seule occasion où de pareilles divergences se rencontrent entre les assertions des témoins oculaires des mêmes faits ; la défaillance de la mémoire et parfois le défaut de sincérité des narrateurs en donnent une explication suffisante. Pour faire comprendre par un exemple l’embarras où ces contradictions jettent celui qui cherche à les concilier, je dirai seulement que, tandis que Mme de Brancas accuse les médecins de Louis XV d’avoir dissimulé son mal le plus longtemps possible pour ménager Mme de Châteauroux, le duc de Richelieu, dans la pièce curieuse qui m’a été confiée, dirige contre ces mêmes médecins une imputation toute contraire. Il leur prête le dessein d’exagérer la gravité du mal pour entrer dans les vues des ennemis de la duchesse et provoquer son bannissement. Une mention, insérée par l’avocat Barbier dans son Journal, atteste pourtant que l’opinion de Mme de Brancas était celle du public contemporain. (Barbier, août 1744.)