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songer. Tâchez de remettre du calme dans votre esprit et de ne pas tomber malade,[1]. »

A Bar-le-Duc, cependant, il fallut bien, bon gré, mal gré, faire halte, sans quoi on risquait de croiser un autre cortège qui arrivait en sens contraire, plus rapidement peut-être encore, et soulevant sur son passage des émotions bien différentes. C’était la reine qui accourait, incertaine si elle arriverait à temps pour recevoir le dernier soupir de son époux. A quelque distance, derrière elle, suivait le dauphin avec le duc de Châtillon, son gouverneur, puis les princesses filles du roi, avec leurs dames. Le courrier des duchesses avait reçu de M. d’Argenson l’instruction formelle de faire tous les détours nécessaires pour éviter une si fâcheuse rencontre. Mais la difficulté de desservir sur une même route tant d’équipages à la fois, faisant changer à tout moment les itinéraires, un hasard et un malentendu amenèrent précisément ce qu’on voulait fuir : la souveraine et la favorite furent sur le point de se trouver en face l’une de l’autre sur une place publique, et Dieu sait quel tumulte en serait résulté ! Heureusement la duchesse, prévenue, eut le temps de se réfugier et de se renfermer dans une maison écartée de la ville, d’où elle pouvait entendre des acclamations qui ne ressemblaient pas à celles dont ses oreilles étaient tristement assourdies.

Du jour, en effet, où la nouvelle du péril du roi avait été apportée à Versailles, la reine n’avait eu qu’un vœu et qu’une pensée, c’était de voler auprès de lui. Mais telle était la règle impérieuse à laquelle comme toute autre elle obéissait, telle peut-être aussi sa crainte de n’être pas bienvenue même auprès d’un lit de mort, qu’elle n’avait pas osé bouger avant d’en avoir demandé par un courrier exprès à Metz l’autorisation formelle. La permission ne lui fut accordée que le jour où le roi fit l’aveu complet de ses fautes et comme un complément de son repentir. L’ordre de départ fut aussitôt donné ; mais nulle hâte n’était possible avec les interminables formalités de l’étiquette de cour, et plus de vingt-quatre heures durent être encore employées à mettre d’accord l’ordre régulier du service avec les convenances particulières aux dames qui devaient accompagner la reine. Mme de Flavacourt entre autres, appelée par tour à cet honneur, réclamait son droit, et il fallut un peu d’art pour l’y faire renoncer. Puis le voyage rapide n’étant pas dans les habitudes royales, d’autres délais furent nécessaires pour mettre en état de courir la poste de vieilles berlines qui depuis longtemps ne servaient plus. Bref, ce ne fut que le 15 août, après la messe, que la reine put se mettre en route, avec tant de voitures de suite qu’il

  1. Lettres de Mme de Châteauroux à Richelieu. — Bibliothèque de Rouen.