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prendrait parti contre nous, même dans celui où nous attaquerions le Brabant. » C’étaient bien les dispositions qui convenaient à Dumouriez ; mais le négociateur ne lui plaisait point. Il avait peu de goût pour Talleyrand ; il aurait préféré un homme plus facile à saisir, plus souple et tout à fait à lui[1]. Talleyrand, de son côté, ne professait pour Dumouriez qu’une admiration limitée : « Il met de l’activité dans son département, écrivait-il à son ami Biron ; ses dépêches sont bien au fond, mais n’ont pas assez de noblesse dans le style. » Cependant ils avaient intérêt à s’entendre, ils avaient des amis communs, ils s’entendirent. Talleyrand tenait à retourner à Londres, moins peut-être pour le rôle qu’il y pourrait jouer que pour celui auquel il échapperait à Paris. Sieyès l’avait rapproché de la Gironde. Brissot ne l’aimait pas, mais, rapporte Dumont, il le savait « perdu à la cour, ce qui compensait tout. » Il ne pouvait être ambassadeur en titre : il avait été membre de la constituante, et le testament de cette assemblée l’excluait de toute fonction publique. On imagina de nommer un ministre titulaire qui recevrait les honneurs de la mission sans en avoir la conduite : « Il est nécessaire, disait Dumouriez dans son rapport au roi, le 28 mars 1792, que cet adjoint soit entièrement dans la main de M. de Talleyrand et ne puisse rien faire seul et de lui-même, n’étant absolument qu’un prête-nom. Je propose, pour cette adjonction, M. de Chauvelîn, qui convient à M. de Talleyrand. » Talleyrand se trompait. Chauvelin était l’homme du monde qui convenait le moins à ce rôle discret et délicat. Timon[2] nous le montre « étincelant de saillies, » après que de ci-devant marquis et d’ex-citoyen, il était devenu comte de l’empire et conseiller d’état. C’étaient, en 1792, des étincelles latentes. Très jeune encore, fort inconsidéré, plein de suffisance, d’une vanité ombrageuse, obsédé par l’inquiétude où il était de se faire pardonner sa naissance, Chauvelin se montra émissaire compromettant, observateur médiocre, et négociateur maladroit.

Cette négociation d’Angleterre paraît avoir été la principale préoccupation de Dumourièz. Il y a consacré deux grands mémoires[3] : Ce sont les pièces les mieux faites pour nous éclairer sur ses vues politiques et ses propositions d’avenir. L’Angleterre, dit-il, semble disposée à la neutralité, mais ce ne sont que des intentions, et les assurances verbales qui en ont été données ne suffisent point,

  1. Voir les Souvenirs de Dumont.
  2. Le Livre des orateurs, par M. de Cormenin.
  3. Réflexions pour la négociation d’Angleterre, 30 mars. — Instructions pour MM. Chauvelin, Talleyrand et du Roveray, 10 avril 1792.