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On apprit bientôt avec surprise que ce ne serait ni l’autre et que Louis, se réservant à lui seul le commandement supérieur, comptait diriger le siège de sa personne, sans autre concours que celui de Coigny. Belle-Isle ne reçut pas la permission de raccompagner au-delà de Strasbourg, et, Noailles ayant demandé s’il devait suivre plus loin : « Comme vous voudrez, » lui fut-il répondu, sans qu’un mot fût ajouté à cette invitation si peu pressante. Ainsi se trahissait chez Louis XV cette inconstance de sentiment, cette incohérence d’esprit qui, le rendant tour à tour confiant ou méfiant à l’excès, le portaient tantôt à se décharger complètement du fardeau du commandement, tantôt à le ressaisir avec jalousie, sans avoir jamais la force ni la patience de le porter longtemps lui-même. Tel il devait se montrer jusqu’au jour où, par une étrange combinaison, il réussit à satisfaire à la fois ses penchans contraires en constituant, d’une part, un ministère public auquel il faisait tout faire et un cabinet occulte dirigé secrètement par lui-même et chargé de surveiller, de contrarier même, à l’occasion, les dépositaires officiels du pouvoir.

En attendant, la campagne, un instant commencée avec tant d’énergie et d’éclat, allait se continuer sous d’assez tristes auspices : la seconde alliance de la France et de la Prusse reprenait tous les caractères de la première. C’était, de nouveau, dans les conseils de la France la mollesse et l’indécision ; de nouveau aussi, chez Frédéric, l’impatience, l’irritation et cette promptitude au soupçon qui semblait faite pour préparer et pour justifier au besoin des représailles : au lendemain de la conclusion du nouveau traité, on eût dit qu’on était encore à la veille de la rupture de l’ancien.

Tel était le triste résultat du temps d’arrêt imprévu qui avait suspendu la marche de Louis XV vers l’Alsace ; et c’est ici qu’on peut voir combien à certains momens de l’histoire (j’en demande pardon aux théories des philosophes) un événement inattendu et insignifiant en lui-même peut changer pour longtemps chez un peuple tout le cours des faits et même des idées. Jamais accident ne fut, à coup sûr, plus impossible à prévoir et ne parut plus promptement réparé que le mal soudain, mais passager, qui menaça, à Metz, les jours du roi ; il est pourtant peu d’événemens du siècle qui aient eu, en tout genre, des conséquences plus fâcheuses et plus étendues. L’effet le plus immédiat, le plus direct (mais non pas le pire), ce fut d’altérer tout d’un coup les relations personnelles qui venaient de s’établir heureusement entre Louis XV et Frédéric au moment où ils entraient ensemble en campagne. La veille, ce n’étaient des deux parts que protestations d’amitié et témoignages de confiance et même d’admiration mutuelles. Frédéric surtout ne