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conditions de la paix. » Il fut question des troubles qui agitaient la Belgique. Custine défendit la France de les fomenter : « Nos principes sont connus, ils proscrivent l’esprit de conquête. » Schulenbourg demanda comment on les conciliait avec l’annexion d’Avignon. « C’est, répliqua Custine, que nous ne faisions que reprendre notre bien. » La diversion était insidieuse ; Custine sut l’éviter et revint à son thème. Il insista sur l’intérêt évident de la Prusse à ménager la France. Schulenbourg l’interrompit : « Assurément la ruine de la France ne serait un bien pour aucune puissance, excepté peut-être pour l’Angleterre. La Prusse en souffrirait plus qu’aucune autre… Vos principes, ajouta-t-il, et votre constitution ne la regardent en rien tant qu’ils ne s’appliquent qu’à vous ; leurs inconvéniens ne peuvent affecter le roi que par l’intérêt qu’il a à repousser cet esprit de prosélytisme qui semble menacer tous les potentats et vouloir s’étendre sur tous les pays. — Mais, reprit Custine, si la France donnait sur tous les points en litige des déclarations rassurantes ? — Qui les garantirait ? demanda Schulenbourg. Sur quoi peut-on compter aujourd’hui chez vous, où deux ou trois partis se disputent la victoire et la domination ? — Sur la constitution, répondit Custine. Si l’on nous force à faire la guerre, on verra que les partis qui vous semblent acharnés à se détruire, se réuniront pour la défendre. — En ce cas, la guerre serait un bonheur pour vous. — Rien n’est plus possible sans doute. »

Schulenbourg, qui avait été constamment attentif et poli pendant la durée de l’entretien, promit d’en référer au roi. La réponse qui fut donnée, le 6 avril, à Custine portait que le roi n’avait rien à lui dire de plus qu’à M. de Ségur. Schulenbourg l’engagea vivement à ne point insister pour être admis en qualité de ministre. Les circonstances ne s’y prêtaient pas. Frédéric-Guillaume recevait des lettres qui le menaçaient du même sort que Gustave III. Il voyait dans les discours de l’assemblée « la cause du fanatisme par lequel ses jours étaient menacés. » L’amnistie accordée aux assassins d’Avignon acheva de consterner tout ce qu’il restait d’amis à la France. « Bien, écrivait Custine le 10 avril, n’a plus contribué à nous ôter des amis, à nous perdre dans l’opinion. Tous en ont été indignés, et plusieurs des plus précieux défenseurs de notre constitution, dans la classe des gens de lettres et des savans, ont annoncé ouvertement qu’ils ne pouvaient soutenir un gouvernement qui se déshonorait par de pareilles mesures. » Custine avait donc perdu toute espérance de négociation, lorsqu’arriva la nouvelle de la déclaration de guerre. Elle ne s’adressait qu’à l’Autriche, mais il y avait alliance entre l’Autriche et la Prusse, et Frédéric-Guillaume se considéra comme attaqué. Le 29 avril, dès qu’il connut la nouvelle, il