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revint précipitamment à Berlin et donna l’ordre de presser les préparatifs, « laissant paraître, dit Custine, l’agitation, la colère, la violence dont il était possédé. » Le 1er mai, Custine se rendit chez Schulenbourg, qui lui annonça l’entrée en campagne de la Prusse. Il était fort ému des discours de l’assemblée et des circonstances qui avaient accompagné la déclaration de guerre. Comme Custine lui faisait observer qu’en cas de succès comme en cas de revers, l’entreprise serait malheureuse pour la Prusse : « On l’a voulu, répondit Schulenbourg. Depuis dix mois, les tribunes françaises retentissent d’injures contre les têtes couronnées ; il fallait que cela finit. » Il ne dissimula pas que « l’indifférence sur notre existence future, sur les calamités qui’ nous attendent après une contre-révolution, que le désir de la vengeance pour le passé, celui d’assurer la tranquillité des gouvernemens dans l’avenir, étaient les seuls moteurs des résolutions actuelles. » Il n’y avait plus rien à faire à Berlin. « Tous, concluait Custine, consentent que la France disparaisse de la balance européenne et composent leurs calculs politiques sur de nouveaux élémens. » Et il ajoutait, le 13 mai : « La position est insoutenable, et dénuée du seul espoir qui pût la faire soutenir, l’espoir d’être utile. »

Les agens secrets n’obtinrent pas plus que l’agent public ; ils furent successivement éconduits. Dumouriez, cependant, ne pouvait se résigner à battre en retraite sur ce champ de manœuvres de Berlin, qu’il croyait si bien connaître et où il espérait jouer de si beaux coups de partie. Il était rompu à tous les artifices de la vieille diplomatie et ne voulait jeter aucune de ses cartes sans en avoir essayé. On lui avait voté six millions de fonds secrets. En passant la frontière, ces six millions, — par l’effet du change, — se réduisaient à trois ; mais il y avait encore de quoi faire, et Dumouriez le tenta. Il avait envoyé aux Deux-Ponts M. de Naillac, conseiller d’ambassade, « un des plus constans voyageurs politiques » de l’ancienne diplomatie. L’agent était adroit ; il trouva cette petite cour dans l’épouvante. Le duc, prodigue et pusillanime, son ministre, M. d’Esebeck, remuant et effaré, tremblaient devant l’invasion de la France. S’ils faisaient mine de résister, la France les expulsait ; s’ils avaient l’air de se soumettre, l’Allemagne les traitait en ennemis. Enfin le duc était héritier présomptif de la Bavière, l’Autriche le menaçait d’expropriation ; il avait grand besoin de la France pour assurer son héritage. Dumouriez pensa qu’il trouverait dans ce gouvernement un intermédiaire convaincu auprès de la Prusse. C’était, s’il en fut jamais, un rôle « d’honnête courtier » qu’il lui proposait, et le courtage en valait la peine. « Vous pouvez, écrivait-il à Naillac, le 19 mai, annoncer au ministre que, s’il réussit