Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tarissait pas en louanges enthousiastes sur les qualités qu’il découvrait chez son allié. Sans doute, ce juge perspicace connaissait trop bien les hommes et surtout en pensait trop de mal, pour être aussi réellement séduit qu’il le prétendait par les éclairs de générosité royale dont était traversée l’âme de Louis XV, et les complimens qu’il lui prodiguait sont trop exagérés pour porter le cachet de la sincérité. Mais le seul fait qu’il prenait soin de le ménager, de le flatter même, comme son élève et son émule, au lieu de le harceler des propos piquans dont il avait criblé la vieillesse de Fleury, attestait un adoucissement de son humeur qui, mettant de la souplesse dans le jeu de tous les ressorts, promettait à la nouvelle alliance de meilleurs jours qu’à la précédente. Tout fut brusquement changé quand on apprit que, faute de pouvoir être conduits par leur roi lui-même, les Français avaient manqué au poste qui leur était assigné pour seconder à temps l’agression prussienne en Bohême. Ce fut un crime impardonnable : Louis XV fut perdu dans l’estime de Frédéric pour s’être donné le tort de ne pas arriver, à tout risque, fût-il mourant, au rendez-vous où il devait se rendre pour lui complaire. Il faut bien penser aussi que les incidens mêmes de la maladie ne contribuèrent pas à réhabiliter le malade aux yeux du prince incrédule. A voir dans quels termes dédaigneux Frédéric s’exprime dans ses Mémoires sur ce roi « entouré de prêtres, de confesseurs et de tout l’attirail que l’église catholique emploie pour envoyer les mourans dans l’autre monde, » on peut juger quelle impression lui laissèrent des scènes qui froissaient chez lui les sentimens du philosophe, au même moment où le général voyait tous ses plans de campagne et le politique toutes ses combinaisons déconcertés. Il n’en fallut pas davantage pour faire déborder de nouveau tous les flots d’amertume que contenait ce cœur irascible. Tout fut dit dès lors entre les deux princes : ils purent se haïr encore quelque temps, ou se mépriser en restant unis, mais on vit se préparer le jour où le dédain railleur de l’un et l’amour-propre blessé de l’autre feraient éclater cette lutte ouverte qui a ensanglanté l’Europe pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, et dont l’issue nous a été si funeste.

Mais si ce changement de dispositions, ou plutôt ce retour à de vieilles habitudes, fut chez Frédéric l’effet de la malencontreuse maladie de Metz, le résultat, plus triste encore chez Louis XV, fut d’arrêter une transformation de caractère qui aurait peut-être pu sauver de la juste réprobation de l’histoire sa mémoire et son règne. Le mal le surprit au milieu de la première résolution virile qu’il eût prise depuis qu’il était en état de penser et d’agir ; si la victoire l’en eût récompensé, qui peut dire que celle-là eût été la seule et la dernière ? Qu’on se figure le roi de France rentrant dans