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compagnies italiennes n’avaient fait preuve, dans le passé, ni d’assez de puissance ni d’assez de crédit pour qu’on ne fût pas autorisé à appréhender dans l’avenir le retour de semblables défaillances. Si l’état demeurait exposé à devoir faire inopinément des sacrifices pour prévenir l’interruption d’un grand service public, n’y avait-il pas dans cette éventualité une cause de perturbations budgétaires aussi regrettables que l’incertitude qui pourrait exister sur les recettes et les dépenses de l’exploitation du réseau national ?

Le contrôle du parlement et la surveillance de la presse suffisaient, dans un pays libre et qui se gouverne lui-même, à prévenir les inconvéniens politiques qui pourraient résulter du droit de nommer à des milliers d’emplois. Si la disposition d’un personnel aussi nombreux peut devenir entre les mains des détenteurs du pouvoir un puissant moyen d’influence, n’a-t-on pas également à redouter que les compagnies mettent leur autorité et leur crédit au service d’un parti ? L’état est déjà chargé des postes et des télégraphes ; il conduit ces deux services à la satisfaction du parlement et du public : pourquoi l’exploitation des chemins de fer serait-elle moins bien dirigée et donnerait-elle lieu à des abus qui ne se sont pas révélés ailleurs ? L’exploitation des chemins de fer piémontais par l’état n’a produit que de bons résultats, et si l’exploitation des chemins de la Haute-Italie, depuis leur transfert au ministère des travaux publics, a laissé à désirer, cela tient surtout à l’incertitude qui plane encore sur la décision des pouvoirs publics et qui paralyse l’activité et l’initiative des ingénieurs placés à la tête de ce service. La Belgique et l’Allemagne n’offrent-elles pas d’ailleurs des exemples d’exploitations conduites avec succès par les gouvernemens ? Le réseau de l’état belge s’élevait, en 1879, à 2,663 kilomètres, et à la même époque, en Allemagne, 24,263 kilomètres sur 33,302 étaient exploités par les divers gouvernemens. On invoquait même l’essai fait en France comme une preuve que, dans notre pays, la question n’était pas définitivement tranchée en faveur de l’industrie privée.

Il semblait enfin que les considérations stratégiques dussent dicter la décision des pouvoirs publics. L’Italie, qui, à cause de l’étendue de ses côtes, offre tant de points vulnérables à un ennemi puissant sur mer, devait se préoccuper par-dessus tout de sa sécurité. Entre les mains de l’état, les chemins de fer seraient organisés de manière à répondre à toutes les exigences de l’administration militaire. Les gares, les quais d’embarquement, les voies, le matériel roulant recevraient les dispositions les plus conformes aux besoins de l’armée, et la mobilisation des forces nationales serait singulièrement facilitée, surtout dans les cas imprévus, par le fait