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ajouter[1]. Disons seulement que ces luttes entre penseurs et lettrés, ces disputes interminables tiennent bien moins, chez leurs auteurs, à la passion musicale qu’à des motifs personnels. Ce qu’on désirait, ce n’était pas un changement d’école, mais plutôt un changement de milieu.

En effet, depuis les premières années de Louis XIV, que voyait-on à l’Opéra ? Une perpétuelle invasion de la Grèce avec ses héros et ses dieux, et, selon l’expression de Diderot, « du fracas, des vols, des triomphes, des lances, des gloires, des murmures, des victoires à perdre haleine. » On se sentait instinctivement poussé vers un art plus humain ; on comprenait enfin que la vieille école ne savait ni charmer ni séduire. Les œuvres du répertoire avaient sans doute des qualités de force ; aucune n’avait la grâce, aucune la tendresse. Or l’idéal nouveau, d’aucuns l’avaient entrevu au-delà des monts. Une musique tout autre occupait l’Italie. A Rome comme à Florence, à Naples comme à Venise, se jouaient des pièces tirées de la vie ordinaire, écrites dans un style facile, où la mélodie ne cherchait qu’à plaire, et, chose étrange, depuis Lully, jamais la France n’avait songé à jeter un coup d’œil sur les œuvres de ses voisines. Les Bouffons italiens vinrent la réveiller. La Serva padrona était juste l’opposé de notre musique. Ces mélodies bien écrites, vivantes et spirituelles, chantées avec les finesses de l’art italien, firent tourner toutes les têtes. « La musique des Bouffons, dit La Harpe, fit connaître à l’oreille un plaisir tout nouveau. Cette richesse, cette variété d’expression, était bien le contraste des effets ordinaires de l’Opéra. » La guerre était allumée.

Nous aurions certainement le droit de traiter la querelle elle-même, de pure bouffonnerie, si nous n’y trouvions engagés des hommes comme Rousseau, Grimm, d’Alembert et Diderot. Elle eut lieu à coups d’invectives et à coups d’épée, tant et si bien que Louis XV lui-même dut s’en mêler. Mais, pour revenir à l’Opéra, c’est autour de Rameau que se rallièrent les combattans, et, plus que jamais, d’après leur place au « coin du Roi ou de la Reine » ou d’après leurs impressions du café Procope, écrivains et philosophes divaguèrent à loisir. Le jugement de Rousseau nous intéresserait davantage, en raison de la compétence musicale de son auteur, s’il n’avait plusieurs fois varié ; mais peu importe, en somme, qu’il ait traité le chant français « d’aboiement continuel. » Après tout, cela pouvait bien être ; les Italiens, qui étaient bons juges dans la partie, n’en jugeaient pas différemment. S’il a écrit aussi que les Français « n’ont point de musique et n’en

  1. La Musique et les Philosophes au XVIIIe siècle, par M. Adolphe Jullien. — Grimm et la Musique de son temps, par M. Jules Carlez.