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l’Opéra de Paris, il espérait, en conservant le genre de Lully et la cantilène française, en tirer la véritable tragédie lyrique[1]. » Nous tenons d’autant plus à citer de pareils témoignages, qu’ils affirment nettement comment Gluck se rattache à l’école française. Outre l’appui de la dauphine, Marie-Antoinette, son ancienne élève, il pouvait donc compter que lullistes et ramistes se grouperaient autour de lui, puisqu’il vénérait leurs idoles : « Ce grand homme, dit son collaborateur et ami du Rollet, s’est convaincu que le genre français était le véritable genre dramatique musical ; que s’il n’était point parvenu jusqu’ici à sa perfection, c’était moins au talent des musiciens français qu’il fallait s’en prendre qu’aux auteurs des poèmes qui, ne connaissant point la portée de l’art musical, avaient, dans leurs compositions, préféré l’esprit au sentiment, la galanterie aux passions. M. Gluck s’est indigné contre les assertions hardies de ceux de nos écrivains fameux qui ont osé calomnier la langue française en soutenant qu’elle n’était pas susceptible de se prêter à la grande composition musicale. » Réponse péremptoire aux allégations de Rousseau.

Iphigénie en Aulide est terminée. Gluck arrive à Paris et s’impose bientôt par un génie sans égal et les conceptions artistiques les plus hardies : Lully et Rameau avaient un successeur et leurs aspirations les plus hautes allaient enfin se réaliser. Quelles réformes apportait-il ? Tous les connaissent sans aucun doute. Elles sont aussi vastes dans le fond que dans la forme. L’œuvre dramatique s’offre à lui comme un faisceau indissoluble dont aucune partie ne doit rester faible ou inutile. L’adaptation musicale est si exacte, si vigoureuse qu’elle semble sculptée sur le poème par une main puissante comme celle d’un Michel-Ange. Dans l’action tout est solidaire ; instrumens et voix agissent de complicité. La forme du chant se modifie. Le récitatif garde sa force et sa simplicité, mais on n’y voit plus ces éternels changemens de mesure qui jetaient l’indécision sur la phrase, et en détruisaient le rythme et le contour. L’orchestre à son tour se transforme ; le musicien lui découvre de nouvelles richesses par la combinaison des timbres. Mais son moindre mérite n’est pas d’avoir répandu sur son œuvre, dès qu’il l’a voulu, tous les attraits de la tendresse. Qu’on cherche au hasard dans Orphée, Armide, les deux Iphigénie ou Alceste ; qu’on se demande ensuite si toutes ces qualités de force, de précision, de tendresse et de grâce ne sont pas éminemment, uniquement françaises ; et qu’on ne prétende plus enfin que chez tout autre peuple Gluck eût

  1. Le comte d’Escherny, Mélanges de littérature, d’histoire, de morale et de philosophie.