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REVUE DRAMATIQUE

A PROPOS DU CENTENAIRE DE DIDEROT

Entretien d’un philosophe avec la maréchale de***. — Est-il bon ? est-il méchant ?

Voilà cent ans, le 30 de ce mois, que Diderot a rendu son âme à Dieu, — si tant est qu’il se soit aperçu, le 30 juillet 1784, que Dieu lui en avait prêté une. Voilà cent ans que ce turbulent athlète, souvent dressé contre l’église, repose sous une chapelle de la Vierge : paix à l’auteur de l’Oiseau blanc ! Il avait menacé, même couché là, de ne pas se tenir tranquille : on connaît sa lettre à Mlle Volland, où, pour la première fois, il ébauche, à titre de paradoxe, une doctrine sur la perpétuité de la vie et le chimérique de la mort : « La seule différence que je connaisse entre la mort et la vie, c’est qu’à présent vous vivez en masse, et que, dissous, épars en molécules, dans vingt ans d’ici, vous vivrez en détail… O ma Sophie ! il me resterait donc un espoir de me confondre avec vous quand nous ne serons plus, si les molécules de votre amant dissous avaient à s’agiter, à s’émouvoir, et à rechercher les vôtres éparses dans la nature. » Il ne paraît pas que, du caveau de Saint-Roch, la poussière du philosophe ait pu s’échapper pour cette amoureuse recherche ; il est donc là, depuis un siècle, immobile : après tant d’agitations, ce n’est pas trop. Mais un pieux hommage ne trouble point les morts : quelques dévots du grand Denis, — l’Antéchrist aura les siens ! — ont résolu, à l’occasion de ce 30 juillet, de remuer un peu sa mémoire.

Il s’est formé un comité pour régler une cérémonie de centenaire : l’idée de cette fête, apparemment, ne déplairait pas à Diderot. Avec toute sa bonhomie et sa négligence, il ne laissait pas d’être glorieux.