Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/481

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le chef du cabinet de Bruxelles, M. Malou, est certainement le premier à le sentir ; il est trop avisé pour ne pas comprendre que la meilleure des politiques sera celle qui saura donner satisfaction aux sentimens modérés du pays ; et, sous ce rapport, le scrutin du 8 juillet peut lui être un appui utile pour résister à ceux qui voudraient l’entraîner dans des campagnes de parti, dans une réaction mal calculée. C’est en définitive la moralité la plus sûre de ce scrutin qui peut être un avertissement salutaire, qui, en achevant la victoire de la politique nouvelle, lui fixe pour ainsi dire une limite qu’elle ne pourrait franchir sans péril.

Voici un pays voisin, ami et allié de la Belgique, la Hollande, qui a aussi son épreuve, une crise nationale et politique destinée peut-être à prendre une assez sérieuse importance. La mort du prince Alexandre, le dernier héritier de la maison d’Orange-Nassau, a profondément ému les Hollandais. Ce n’est pas que le prince eût une grande popularité ; il était peu connu, il se mêlait fort peu au monde. La mort de sa mère, la reine Sophie, femme d’un esprit supérieur, avait été un premier coup qui l’avait atteint dans ses forces physiques comme dans sa vie morale, et lorsque peu après, la fin prématurée de son frère aîné, le prince Guillaume, faisait de lui l’héritier de la couronne, il se sentait accablé de cette fortune inattendue qui était pour lui un fardeau. Il vivait solitairement dans son palais de La Haye, affecté de la mort de ses proches, recevant à peine les princes étrangers qui passaient en Hollande et qui témoignaient le désir de le visiter, fort peu connu de ses compatriotes et peu compris, enfermé le plus souvent dans des études tranquilles qui lui donnaient un renom d’originalité. Tel qu’il était cependant, ce prince avait reçu de sa mère des idées généreuses ; il ne manquait pas de dons naturels développés par une éducation soignée, il goûtait les hommes de talent, avec qui il aimait à avoir de longues conversations ; et il ne négligeait pas de se tenir au courant des affaires publiques, de se préparer à la lourde tâche qui pouvait lui échoir un jour. Il n’aimait ni le bruit ni l’éclat. La mort précoce et inattendue de ce prince solitaire de moins de trente-cinq ans est venue montrer la place qu’il occupait dans les affaires hollandaises ; elle a rappelé qu’il était le dernier fils du roi Guillaume, déjà souffrant et presque septuagénaire, qu’avec lui s’éteignait la ligne masculine des Orange-Nassau, et, par une coïncidence curieuse qui n’a pu qu’ajouter à l’émotion, cette mort est arrivée au moment où l’on se dispose à célébrer en terre hollandaise le troisième centenaire de la mort de Guillaume le Taciturne, le grand fondateur de la dynastie ! La constitution néerlandaise, il est vrai, a pourvu à tout, et attribue la couronne à la fille que le roi Guillaume a eue d’un second mariage, à la jeune princesse Wilhelmine ; mais cette princesse, devenue à l’improviste héritière de la couronne, est une enfant de quatre ans. Il faut, d’après la loi