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en toute assurance ce qui aurait été inexécutable il y a cinquante ans ; mais où trouver des chefs comparables à ceux qu’avaient formés les grandes guerres du commencement de ce siècle ? Le seul remède à cette infériorité, c’est d’avoir des soldats robustes, très exercés, habitués à la marche et aux fatigues de tous genres, des troupes assouplies par une forte discipline et unies à leurs chefs de tous grades par les liens d’une confiance réciproque. Or c’est ce qui ne s’acquiert que par une longue habitude de la vie commune, et c’est ce qui a fait dans tous les temps, dans tous les pays, la supériorité des vieilles troupes sur celles de formation récente.

Il semble surprenant que M. le baron de Goltz, après avoir saisi d’un œil si clairvoyant les inconvéniens, les dangers même qui résultent d’une agglomération d’hommes excessive, l’accepte cependant comme résultant d’une nécessité inéluctable. S’il en fait la base obligée de l’organisation que doivent avoir les armées modernes, c’est qu’il a toujours en vue l’armée prussienne et qu’elle lui paraît un modèle à imiter en tout. Voyons, cependant, si les faits ne conduisent pas à des conclusions souvent différentes, et si ce qui convient dans un pays et à un état social déterminé est à imiter dans des contrées où l’esprit national est tout autre.

Depuis quinze ans, les principales puissances militaires de l’Europe ont fait de grands efforts pour augmenter l’effectif de leurs troupes et elles sont en mesure d’appeler sous les armes 2 millions et demi à 3 millions d’hommes, appartenant pour moitié à l’armée active et pour moitié à une armée de seconde ligne (réserve, landwehr, ou armée territoriale). Elles tâcheront naturellement d’en diriger la plus grande partie sur le théâtre de la guerre, mais tout le monde ne répondra pas à l’appel, et, outre les défaillans, il faudra pourvoir à la garde des côtes, des forteresses, conserver des troupes à l’intérieur. On ne saurait donc supposer que plus d’un million d’hommes soient jetés de prime abord sur la frontière ; et ce sera déjà beaucoup. En Allemagne, on admet que la plus forte des unités entre lesquelles l’armée est sectionnée ne doit pas dépasser 30,000 hommes. En France, on admet très bien 35 à 38,000 hommes pour l’effectif d’un corps d’armée. Si l’on s’en tenait là, on devrait, au début d’une guerre, pour encadrer un million d’hommes, créer un si grand nombre de corps d’armée nouveaux, qu’on en serait embarrassé, et nous pensons qu’on peut très bien porter à 45,000 hommes ceux que l’on possède. À ce taux, il faudrait encore en avoir vingt-deux, et aucune nation n’en a autant d’organisés en temps de paix. Rien ne s’oppose toutefois à ce que ce chiffre soit obtenu par l’appel des réservistes et il ne doit point d’ailleurs paraître exagéré, car les premières marches ont pour effet de réduire beaucoup les effectifs. Dans un pays comme la