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l’état-major allemand suppute qu’on peut imposer à une population donnée un nombre égal de garnisaires ; un peu moins dans les villes, où l’on est trop resserré, un peu plus dans les campagnes, qui offrent plus de ressources. Ces données représentent des moyennes qui se trouveront souvent fort éloignées de la vérité, car il ne suffit pas d’abriter les troupes contre les intempéries, il faut aussi les faire vivre. Bien des localités ne présenteront pas des ressources suffisantes pour les hommes et surtout pour les chevaux, — il y en aura 12,000 à 15,000 par corps d’armée pour la cavalerie, l’artillerie, le train, les états-majors, les colonnes de vivres, de munitions, et les équipages de tous genres. — Tel bourg où l’on pourrait loger trois ou quatre soldats par habitant sera hors d’état de fournir l’avoine, les fourrages, l’eau surtout dont on aurait besoin pour les chevaux. En 1870, l’armée allemande a beaucoup souffert de la disette d’eau autour de Metz, notre auteur nous l’apprend. Et si ce fait s’est présenté dans un pays abondamment pourvu de fontaines, arrosé par deux rivières, et à une époque où les pluies ont été assez fortes pour amener un débordement de la Moselle, on peut se demander ce qui arrivera dans des circonstances moins favorables. Comme pourtant on ne doit pas s’attendre à jouir de toutes ses aises à la guerre, on se contentera de peu et il faudra bien savoir se tirer d’affaire sur le terrain de cantonnement dont s’accommode l’état-major allemand. Ce que pourra souffrir la population civile n’entre pas en ligne de compte. Les héros de la guerre de trente ans, Bernard de Saxe-Weimar, Mansfeld, Christian de Brunswick ne s’en sont jamais préoccupés, et leurs successeurs ont toujours agi de même. On se borne à faire observer qu’il est très avantageux de porter la guerre sur le territoire ennemi, où l’on n’a rien à ménager. Les soldats d’infanterie se serreront donc dans les maisons et dans les granges, les chevaux resteront en plein air, gardés par une partie des cavaliers, les soldats du train s’abriteront sous leurs voitures, qu’il sera prudent de garnir de bâches pour préserver ce qu’elles contiennent.

M. de Goltz estime que si la guerre éclatait entre la France et l’Allemagne, il faudrait occuper tout l’espace compris entre Épinal et Verdun. Une telle étendue surprend, au premier abord ; en y regardant de près cependant, on s’aperçoit qu’elle est insuffisante et suppose qu’un tiers environ des corps seront sur une seconde ligne en arrière. Car vingt-deux corps de 45,000 hommes, rangés sur une seule ligne, exigeraient une longueur de 660 kilomètres en ne laissant entre eux aucun intervalle, c’est-à-dire l’espace compris entre Belfort et Verdun. C’est pourquoi le baron de Goltz déclare que la frontière franco-allemande a tout juste la longueur nécessaire pour y ranger une armée d’invasion.