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et du libre arbitre intervenir dans une querelle entre un père et son fils à propos de peccadilles de jeunesse.


II

Ces vieux principes, qui reviennent sans cesse, affirmés ou contredits, dans nos discussions morales, montrent encore, par un autre signe bien remarquable, combien ils ont gardé de crédit dans un grand nombre d’esprits et combien, en même temps, s’est affaiblie leur action sur les âmes. Il n’existe pas, pour les maximes courantes et pour la conduite générale, de différence appréciable entre ceux qui les rejettent et ceux qui leur restent fidèles. De part et d’autre, il y a d’égales vertus ; il y a des « saints de la libre pensée, » un Littré, par exemple, comme il y a des saints de la foi chrétienne. De part et d’autre aussi, il y a même légèreté de langage et de mœurs, même appétit de scandale, même absence de scrupules dans la poursuite du plaisir ou de la fortune. On avait vu, dans d’autres temps, la foi, la dévotion même s’unir au libertinage. Chez les uns, c’était pure hypocrisie ; chez le plus grand nombre, entraînement des passions et abandon de la volonté. Les hypocrites dissimulaient avec soin leurs vices, et les âmes faibles manifestaient de temps en temps de sérieux et vifs remords. Ce qui paraît propre à notre époque, c’est l’espèce d’inconscience avec laquelle on écarte tout souci de mettre sa conduite en harmonie avec ses principes. On est fier de bien penser et on ne rougit pas de mal agir. On veut le plus sincèrement du monde n’être troublé ni dans ses croyances ni dans ses jouissances.

La lecture de certains journaux est très instructive à cet égard. « Le monde où l’on s’amuse » a trouvé, depuis une vingtaine d’années, dans la presse périodique, un nombre croissant d’organes à son image. Les uns appartiennent aux opinions démocratiques et à la libre pensée ; les autres défendent avec énergie les principes conservateurs et les croyances chrétiennes. Entre les articles sérieux ou qui visent à l’être de ces deux catégories de journaux, il y a un abîme. Là, on s’inspire de Voltaire, de Diderot, de Paul-Louis Courier ; ici, le style seul vous avertit que vous ne lisez pas une page de Joseph de Maistre. Passez ces articles, qui sont, des deux côtés, comme le pavillon destiné à couvrir la marchandise : vous trouverez même marchandise, des anecdotes scandaleuses et des romans également licencieux. Quelque différence s’accusera peut-être dans le choix des héros de ces anecdotes et de ces romans : là, on se plaira à mettre en scène des prêtres ou des religieux ; ici,