Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/564

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en vue quelques-uns des plus graves problèmes qui puissent se poser dans la conscience de l’homme et du citoyen.

Les sympathies n’ont manqué, dans aucun temps, soit aux insurrections triomphantes, soit même aux insurrections vaincues ; mais il semblait que, de nos jours, en dehors des révolutionnaires de profession, pour qui l’insurrection est toujours « le plus saint des devoirs, » on dût être d’accord, dans les partis modérés et, à plus forte raison, dans les partis qui se proclament antirévolutionnaires, pour condamner tout recours à la violence au profit d’une cause politique. La conscience la plus scrupuleuse ne se refuse pas à excuser ou même à absoudre un acte de révolte provoqué par une flagrante et odieuse injustice ; mais elle prononce, dans ce cas, comme un jury qui acquitte d’après les circonstances particulières de la cause, d’après l’honorabilité des mobiles qu’il reconnaît ou croit reconnaître chez l’accusé, mais dont le verdict ne saurait avoir le caractère d’une justification doctrinale. Or, dans ces derniers temps, la question du droit d’insurrection a été agitée à la fois et comme à l’envi, théoriquement et pratiquement, par les partis qui se qualifient de radicaux, d’intransigeans, d’anarchistes, par ceux qui se piquent de modération et de sagesse politique, et par ceux mêmes qui proclament le plus haut leur attachement aux principes conservateurs. Les a opportunistes » ont protesté contre la prétention des purs radicaux d’avoir seuls préparé une insurrection, non-seulement contre l’éventualité d’un coup d’état, mais en prévision d’une décision légale et légitime d’une assemblée souveraine. Ailleurs on discute publiquement les moyens de renverser le gouvernement établi ; ceux qui répugnent à sortir des voies légales sont traités de niais, de poltrons ou de traîtres par les plus ardens conservateurs, et plus d’un, pour éviter l’accusation de pusillanimité et de tiédeur, ne craint pas d’exprimer, non la crainte, mais l’espérance d’un acte révoltant d’oppression qui pourrait rendre l’insurrection légitime.

Il semblait encore que l’assassinat politique n’eût plus de partisans avoués que dans les rangs les plus extrêmes des partis révolutionnaires. C’est un thème banal d’accusation contre l’éducation classique d’avoir élevé nos grands-pères dans l’admiration des Harmodius et des Aristogiton, des Brutus et des Cassius. Cette question rebattue et qu’on devait croire définitivement jugée vient d’être posée de nouveau devant la conscience contemporaine par un drame récent. L’auteur avait usé de son droit de poète dramatique en se plaçant au point de vue des sentimens qui dominaient dans le pays et à l’époque où il avait transporté l’action de son drame. Il n’avait point introduit une lutte morale dans l’âme de son héros sur la question même de l’assassinat politique, mais