Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/596

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

propre gouvernement la position dans laquelle il s’était retranché et dont il tirait tant de parti. Servan le pressait de battre en retraite et de couvrir Paris. Les troupes françaises souffraient moins que les prussiennes, mais elles étaient très éprouvées cependant. Dans l’inaction de la vie campée, au milieu des bois trempés de pluie, l’indiscipline tendait sans cesse à renaître. Ces allées et venues d’émissaires, ces entrevues de généraux agitaient les esprits, naturellement portés au soupçon. Enfin Kellermann, qui se sentait le vrai vainqueur de Valmy, supportait impatiemment la prépondérance que prenait Dumouriez et ne le secondait pas. Dumouriez tachait de le rallier à ses projets ; il s’efforçait de convaincre Servan : qu’on lui permît seulement d’attendre, et les Prussiens seraient forcés de se retirer ; leur retraite ouvrirait la route de la Belgique. C’était son idée maîtresse, il y revenait toujours. Le ministre des affaires étrangères, Lebrun, était sa créature ; le 24 septembre, il lui écrivit une lettre qu’il confia à Westermann. Ce dernier devait raconter à Danton ce qu’il avait vu dans le camp prussien et résumer de vive voix les pourparlers.

« Les points essentiels de Manstein ne sont point une base de négociation, écrivait Dumouriez ; mais cette pièce, qui n’engage à rien, peut servir de prétexte pour entrer en conversation. Elle prouve la détresse de l’armée prussienne. — Je crois, ajoutait-il, le roi de Prusse très embarrassé et très fâché d’avoir été si avant, et qu’il désirerait trouver un moyen de sortir d’embarras… Si je le tiens encore en panne huit jours, son armée sera entièrement défaite, d’elle-même, sans combattre. » D’ailleurs il n’entamerait aucune négociation sans un ordre formel. « Répondez-moi à cet égard ; en attendant, je continuerai à tailler ma plume à coups de sabre. » Deux jours après, le 26, s’adressant à Clavière, le ministre des finances : « J’espère que ceci ne sera pas long et que, si on m’y autorise, avec quelques escarmouches et de bonnes paroles, je vous débarrasserai des Prussiens. Quant aux Autrichiens, c’est autre chose. Mon avis n’est pas que nous les tenions quittes à si bon marché, et mes braves amis belges doivent y gagner leur liberté et nous leur alliance. » Il attendait beaucoup des « bonnes paroles ; » mais il souhaitait qu’on lui permît d’aller plus loin. « Comme les Prussiens paraissent me témoigner une confiance exclusive, parce que j’ai été ministre des affaires étrangères, écrivait-il à Servan le 26 septembre, je pourrai, si la république le juge à propos et si on m’envoie des bases, travailler activement et profiter des circonstances. » Reconnaissance de la république, rupture de la coalition, neutralité entre la France, l’Autriche et l’Empire, une simple intercession pour Louis XVI, évacuation du territoire : « Si ces articles