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peuvent être accordés, il s’ensuivra très vite un traité d’alliance entre la France et la Prusse qui donnera, presque sans combattre, la liberté aux peuples de la Belgique. »

En attendant, des émissaires choisis parmi les Alsaciens de l’armée se rendaient aux avant-postes prussiens, y répandaient des écrits contre l’Autriche et des appels à la liberté, engageaient les Allemands à déserter, à s’établir en France pour jouir des bienfaits de l’égalité : ils y trouveraient des emplois et des terres, car les Français, disaient ces naïfs apôtres, « aimaient les Prussiens comme des frères et ne détestaient que les Autrichiens. » Les Autrichiens et les émigrés se plaignaient de cette propagande que les Prussiens semblaient favoriser. Ceux-ci se décidèrent à y mettre fin, et, le 24 septembre, Massenbach fut chargé de déclarer que si les émissaires persistaient dans leurs tentatives d’embauchage, on les repousserait à coups de fusil. Reçu aux avant-postes français par le général Stengel, Allemand d’origine et qu’il connaissait de longue date, Massenbach fut conduit chez Kellermann. Il y trouva réunis les généraux La Barouillière et Dillon, avec les ducs de Chartres et de Montpensier, « les deux princes Égalité, » comme on disait alors. On se mit à causer de la campagne en gens du métier, qui se faisaient la guerre ainsi que l’entendaient, à la fin du XVIIIe siècle, les militaires de profession, sans esprit de haine nationale, sans passion dénigrante et sans mépris : une sorte de milieu entre une affaire d’honneur et une partie d’échecs. On s’estimait justement parce que l’on se battait ensemble, et pendant les pauses, on causait en hommes qui, pour risquer leur vie les uns contre les autres, ne se sentent pas moins du même monde, nourris de la même civilisation et liés encore, quoi qu’ennemis, par la grande franc-maçonnerie des armes. Massenbach trouva les Français très préoccupés des événemens politiques. Ils n’osaient pas, disaient-ils, considérer l’avenir. Dillon, soldat vaillant et royaliste convaincu, partagé entre son ardeur guerrière et son attachement pour Louis XVI, se montrait plus agité, plus perplexe, plus communicatif aussi que ses compagnons. Il avait autrefois connu Frédéric-Guillaume et Brunswick. Après le dîner, il prit à part Massenbach : « Dites au roi et au duc, lui dit-il, que la vie du roi ne peut être sauvée que si la coalition reconnaît la république et fait la paix avec elle. Cette paix la ruinera, car les partis se déchireront, mais la guerre les exaspérera, la monarchie et la noblesse seront anéanties. Qu’on ne songe pas à ramener les frères du roi : toute la nation les méprise et les déteste. » Puis, attirant son interlocuteur dans l’embrasure d’une fenêtre ouverte, où il était sûr de n’être point entendu de ses compagnons, il ajouta plus bas : « Dites au roi qu’on prépare à Paris une invasion de l’Allemagne, car on sait que le Rhin est découvert de troupes allemandes, et