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d’enseigner à la faculté de médecine de Paris, dans les écoles de la rue de la Bûcherie, les superstitions de l’astrologie judiciaire et la divination, et d’en publier une Apologie. Il fut pour ce fait, et sur la plainte du doyen Jean Tagault, traduit devant le parlement et exclu pour toujours de la faculté. Cette erreur de Servet, qu’on ne retrouverait point chez les véritables savans de cette époque, n’était pourtant pas sans exemple chez les médecins. A l’école même de Paris, le célèbre Fernel, — que l’on appelle quelquefois le « Galien moderne » et dont Gui-Patin a dit qu’il « était le plus savant et le plus poli n des hommes, — Fernel avait commencé par s’occuper « d’astrologie, de qualités occultes et de démonomanie. »

Et pourtant Servet est observateur et médecin aussi. A l’âge de dix-sept ans, Jean Quintana, confesseur de Charles-Quint, l’amène en Italie, foyer des sciences renaissantes, terre privilégiée où s’épanouit déjà le génie moderne. Il est entraîné par l’admirable mouvement de curiosité qui poussait tant d’esprits dans la voie des études anatomiques. Les artistes n’y étaient pas moins empressés que les savans. Ils vivaient en rapports étroits avec les anatomistes, auxquels ils demandaient de leur faire connaître la forme et le jeu des muscles et les actions du corps. Léonard de Vinci, génie véritablement encyclopédique, avait poussé très loin, dans l’âge précédent, ce genre de recherches : il méditait la publication d’un traité d’anatomie, dont les notes sont conservées à la bibliothèque de Windsor, et qu’il destinait aux élèves de l’académie des beaux-arts qu’il fonda à Milan. Dans les treize portefeuilles qu’il a laissés à sa mort, on trouve de remarquables études anatomiques relatives aux os, aux jointures, aux muscles et aux tendons. Michel-Ange disséquait lui-même pendant plusieurs années sous la direction de Realdo Colombo, son contemporain et son ami. Il avait étudié sur le cadavre, avec un soin extrême, la forme et les ressorts du corps humain, et il a laissé parmi ses dessins de très belles pages d’anatomie. On en peut dire autant de Raphaël : les collections italiennes, le musée du Louvre et le musée Wicar, de Lille ont de lui des essais très remarquables ; un de ses dessins de squelette destiné à l’étude d’une des figures du tableau de la Mise au tombeau est particulièrement célèbre. Enfin, Titien et son élève Jean de Calcar sont les auteurs des admirables figures qui illustrent l’ouvrage de Jean Vesale. — Il n’y a donc pas lieu de s’étonner, comme le fait H. Tollin, que Michel Servet, introduit tout jeune et plein d’ardeur dans ce milieu avide de connaissances anatomiques, ait eu la curiosité d’assister aux démonstrations des maîtres qui professaient à Bologne et à Papoue, François Litigatus et Realdo Colombo. Un peu plus tard, il suivit les armées de Charles-Quint en qualité de médecin. Puis il dissèque à l’école de Paris ; il écoute les leçons de Sylvius et