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ventricule, qui le chasse dans l’aorte, dans les artères, les capillaires, et enfin dans les affluens de la veine cave.

L’opération recommence alors. Sans trêve, sans interruption, depuis les premiers jours de la conception jusqu’à la mort, le cœur renouvelle le même travail entrecoupé, à raison de soixante-douze reprises environ par minute. Harvey voit tout cela, et il décrit avec exactitude les mouvemens du cœur, ces mouvemens si difficiles à saisir dont Fracastor disait qu’ils n’étaient a connus que de Dieu seul. » Ces notions sont pour nous d’une extrême simplicité ; pour les prédécesseurs de Harvey, elles étaient hardies, sinon entièrement nouvelles. Un naturaliste danois, Sténon, célèbre à d’autres titres, et qui, comme la plupart des savans de cette époque, était venu, lui aussi, s’éclairer aux lumières des écoles italiennes, avait bien compris les contractions et les relâchemens alternatifs du cœur : les systoles et les diastoles. Il les avait assimilés aux contractions et aux repos des muscles, et il avait déclaré que le cœur n’était autre chose qu’un muscle creux. En France, Jean Riolan, doyen de la faculté de Paris, aux environs de 1596, et César Bauhin, à Bâle, en 1605, avaient observé le jeu du cœur sur des animaux dont ils ouvraient la poitrine, et ils avaient distingué le mouvement de chacune des parties. Ils se trompaient seulement en pensant que ces quatre mouvemens se produisaient à des momens distincts. Harvey, par une observation plus fine, s’assura que les deux cœurs étaient synergiques et leurs contractions synchrones : les deux oreillettes entrent simultanément en action et tombent simultanément au repos ; de même les deux ventricules. En réduisant à deux actes, coupés de repos, la révolution du cœur qui, pour Bauhin et Riolan, se développait en quatre actes, le médecin anglais ne faisait que relever heureusement une erreur de détail. Le fait principal avait été bien vu par les savans qu’il rectifiait. Mais ceux-ci, relativement bien inspirés à propos de cette question particulière, retombent aussitôt en défaut ; ils ne comprennent rien à la circulation et Riolan même, se posant en adversaire résolu de Harvey, soutient contre lui une controverse célèbre. — Il s’en faut d’ailleurs que, sur ce point particulier où Sténon, Bauhin et Riolan ont tant approché de la vérité, ils fussent d’accord avec leurs contemporains. Certains conservaient les opinions d’Aristote, qui, dans un endroit, appelle le cœur « l’acropole » du corps, comparaison qui n’apporte pas grande clarté, et qui, dans un autre passage, considère cet organe comme l’origine des nerfs, opinion qui cette fois est décidément fausse. Quelques-uns, et Servet lui-même, le regardaient comme le siège de l’esprit vital, d’autres comme l’organe immédiat de l’âme, et presque tous comme le foyer de cette chaleur innée soufflée dans le corps des animaux avec la