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adeptes de Descartes, Borelli le Napolitain et son élève Bellini, Pitcairn, Stephen Hales et Bernoulli, étendirent et précisèrent les explications mécaniques des phénomènes vitaux. Mais le plus célèbre de ces iatro-mécaniciens ou iatro-mathématiciens, fut Boerhaave. Il poussa le principe à son exagération et par suite à sa ruine : pour lui, par exemple, la sécrétion des glandes se produisait par le jeu du pressoir et la chaleur animale par les frottemens des globules du sang contre les parois des vaisseaux. Les viscères étaient des cribles ou des filtres ; les muscles, des ressorts ; tous les organes, des instrumens mécaniques. Dans le domaine de la circulation, ces tendances trouvaient amplement à se satisfaire. On alla jusqu’à croire que le problème était mûr pour la mise en équation mathématique, et il ne serait pas impossible de trouver dans les recueils de cette science, par exemple dans les Annales de Gergonne, quelque mémoire inspiré par cette illusion. Pendant la première moitié du siècle, Poiseuille, en France, Volkmann et les frères Weber, en Allemagne, et de notre temps Vierordt, Ludwig, MM. Chauveau et Marey peuvent être regardés comme les continuateurs de cette école, qu’ils ont prolongée jusqu’à nous en conservant ce qu’elle avait de bon et en répudiant ses exagérations. On leur doit des études très soignées et très ingénieuses sur la mécanique circulatoire.

Brusquement, vers 1850, sous l’influence de Claude Bernard, la direction des idées tourna court, et la question se trouva replacée sur son véritable terrain. L’éminent physiologiste montra que les conditions mécaniques n’interviennent pas seules et qu’elles sont primées en toute occasion par des conditions vitales. Les vaisseaux sanguins ne sont pas des tubes inertes et élastiques soumis aux lois uniques de l’hydrodynamique : ce sont des canaux actifs et contractiles, animés par le système nerveux, qui peut à chaque instant modifier leur calibre et, par là, toutes les circonstances de la circulation, aussi bien la vitesse du sang que sa pression et son débit. En raisonnant comme s’ils étaient inertes et doués uniquement d’élasticité, on a accompli une œuvre utile sans doute, mais incomplète. L’œuvre est utile en ce qu’elle dissocie les deux facteurs pour étudier l’un d’eux isolément, méthode d’analyse que la science recommande dans tous les cas de ce genre ; mais elle est incomplète en ce qu’elle néglige l’élément physiologique. Il est donc impossible, comme l’avaient cru les iatro-mécaniciens, de transporter brutalement à l’organisme vivant des résultats physiques que le jeu des nerfs, — c’est-à-dire de ce qu’il y a plus spécialement vital, — peut modifier à tout moment. En un mot, la circulation, que l’on s’habituait déjà à considérer comme la proie des forces mécaniques, fait retour à la pure physiologie. Tel est le sens de la révolution