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considérer désormais et proportionner nos efforts à l’immensité des ravages causés par la présence de notre microscopique ennemi.

Le rôle de l’état nous semble dès lors parfaitement défini et identique à celui qui lui est imposé par les menaces d’un voisin puissant ou par les grandes crises commerciales et industrielles. Que fait-il en pareille occurrence ? Se contente-t-il de prélever quelques millions sur son budget ordinaire ? Non, bien certainement ; il signale le danger ; et le patriotisme des chambres ne lui marchande jamais les subsides dont il peut avoir besoin. Nous avons, dans ces derniers temps, emprunté chaque année, pour refaire notre matériel militaire, élever des écoles, creuser des canaux, endiguer des rivières, assurer la sécurité de nos ports, compléter le réseau de nos chemins de fer, subventionner des lignes de paquebots, primer les navires construits sur les chantiers français. Nous ne saurions hésiter davantage à consacrer quelques centaines de millions au relèvement de notre industrie viticole, — dont les pertes actuelles dépassent bien certainement 5 milliards.

Nos représentans des deux chambres ne connaissent certainement pas la gravité de la situation. Il appartient à M. le ministre de l’agriculture de la leur exposer sans réticences, de leur dépeindre les misères des viticulteurs, de leur montrer le danger causé, non point par une série de mauvaises récoltes, mais par la destruction du fonds et de les inviter à voter l’emprunt de la viticulture. Les mêmes hommes qui ont accepté le programme de M. de Freycinet pour conjurer une crise fatale à notre industrie comprendront sans doute que la richesse de la France doit fatalement s’engloutir sous un déficit annuel de plus de 300 millions.

Il leur faut donc sans hésiter rouvrir le grand livre de la dette publique et mettre des annuités suffisantes à la disposition du ministre de l’agriculture, dont la compétence et la bonne volonté ne peuvent être mises en doute, mais qui jusqu’à ce jour n’a pu distribuer que des secours dérisoires aux viticulteurs assimilés par bienveillance aux victimes des incendies ou des inondations. Jamais emprunt n’aura été plus légitime, comme aussi mieux accueilli par l’opinion publique, et nos représentans aimeront mieux voter cette dépense extraordinaire que de consentir à voir distraire des sommes beaucoup moins importantes d’un budget ordinaire déjà fort surchargé. C’est pour cette cause, sans doute, que la chambre des députés et le gouvernement lui-même ont pris jusqu’à ce jour des mesures tellement insignifiantes qu’on serait presque en droit de les qualifier de dérisoires. Telle a été aussi la raison de l’échec subi par la proposition de loi présentée par M. Maurel, député du Var. Sa demande était pourtant bien modeste, mais elle s’adressait au budget ordinaire et devait, par conséquent, échouer. Nous partageons trop