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prématurée, mais plutôt par suite de l’inexpérience de nos mandataires dans les questions de cet ordre économique.

Une grande discussion a été soulevée depuis sur ce sujet par la proposition de M, Bernard-Lavergne, et le doute n’est maintenant plus permis : ce n’est plus contre les alcools rectifiés du Nord que le Midi doit prendre des garanties, c’est l’envahissement de la France tout entière par les alcools allemands qu’il s’agit d’éviter[1]. Du moment qu’il n’est point considéré comme une falsification et poursuivi comme tel, le vinage en lui-même n’a plus qu’une importance secondaire. Il est ouvertement pratiqué en dehors des frontières, et, par suite de nos traités de commerce, nous sommes obligés de le supporter pour tous les vins d’importation étrangère, a dit M. Salis. — Lors de la discussion de ces traités, a rappelé M. Maurice Rouvier, le gouvernement a très explicitement prévenu la chambre qu’ils auraient pour conséquence le vinage des vins français. — On vine et on vinera en fraude dans l’intérieur du territoire tant que l’on n’abaissera pas dans de fortes proportions les droits sur les alcools français destinés à cet usage. C’est donc une perte considérable pour le trésor, a déclaré M. Tirard, ministre des finances. — Puisqu’on vine en dehors, a conclu M. Courmeaux, pourquoi empêcher, par l’élévation de nos tarifs, de viner en dedans et enrichir des étrangers au détriment des producteurs français ? Voilà pour nous le dernier mot de la question et le point de vue sous lequel la chambre aurait dû l’envisager, au lieu de se laisser influencer par des considérations d’un ordre plus élevé sans doute, mais contraire, pour le moment, à l’intérêt général du pays.

Les plus sérieux argumens n’ont certes pas manqué aux adversaires du projet présenté par M. Bernard-Lavergne ; ils les ont développés avec une éloquente conviction à la tribune de la chambre des députés. Nous admettrons volontiers avec eux que le vinage est en lui-même une mauvaise opération ; que les vins relevés par ce procédé, alors même qu’ils ont été vinés avec de l’alcool de vin, au lieu d’être une combinaison, ne sont plus qu’un mélange, dans lequel l’alcool ne tarde pas à gagner les couches supérieures ; qu’ils perdent leur bouquet ; qu’ils provoquent une ivresse redoutable ; qu’ils présentent des dangers sérieux pour la santé publique quand ils contiennent des alcools impurs. Nous admettons aussi avec eux que le vinage, poussé

  1. Le vinage, peu de personnes l’ignorent, est une opération qui consiste à élever le titre alcoolique des vins déjà sortis de la cuve dans laquelle s’est opérée la fermentation des raisins. Il est pratiqué avec des alcools de toutes provenances, soit pour assurer la conservation des vins faibles, soit pour diminuer les droits à payer en rendant possible le dédoublement des vins aussitôt qu’ils ont franchi les lignes de la douane et les barrières des octrois.