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nouvelles charges ? doit-il abandonner quelques-unes de ces recettes si nécessaires à l’équilibre de son budget ? Heureusement non. Ou plutôt, nous sommes en droit d’affirmer que le dégrèvement absolu des sucres et glycoses destinés aux vendanges produira immédiatement un accroissement des revenus de l’état.

Cette affirmation de notre part peut, au premier abord, sembler paradoxale ; il suffit pourtant d’un instant de réflexion pour admettre que, dans les conditions de la législation actuelle, le sucrage des vendanges est entravé par le prix des matières saccharines, et qu’il ne saurait être pratiqué dans de bonnes conditions économiques. Le sucre n’étant pas dégrevé n’est donc pas consommé, et l’état ne perçoit rien de ce côté. On en consommerait, au contraire, plusieurs millions de kilogrammes s’il était dégrevé, et l’état retirerait un bénéfice certain en percevant des droits de consommation sur les boissons obtenues par la fermentation. La mesure que nous demandons n’est donc qu’une fiction quant à l’abandon des droits actuels, mais elle devient une réalité au point de vue de l’augmentation des impôts sur les liquides alcooliques. Est-il admissible, du reste, est-il juste que l’état perçoive deux droits, l’un sur le sucre ou le glucose, l’autre sur ces mêmes substances transformées par la fermentation ? Les autres mesures que nous avons proposées plus haut, l’emprunt de la viticulture, le vinage, etc., peuvent froisser certains intérêts régionaux et trouver des contradicteurs, mais le dégrèvement des sucres destinés à la cuve recueillera certainement l’unanimité des suffrages, car elle réunira, pour la première fois peut-être, dans une communauté d’intérêts, les groupes si souvent opposés des producteurs du vin, du sucre, des fécules et de l’amidon.

De tous les argumens que nous avons développés dans le cours de cette étude, quelques-uns frapperont peut-être l’esprit des hommes qui tiennent dans leurs mains les destinées du pays ; nous espérons, en tout cas, avoir démontré que l’heure des hésitations est passée. Depuis le début de la crise phylloxérique, qu’avons-nous fait ? Presque rien. L’abîme dans lequel nous laissons engloutir la meilleure partie de l’épargne nationale est devenu plus profond, le mal sera bientôt irréparable, la viticulture se meurt, et nous allons voir disparaître, si nous n’y prenons garde, cette branche jadis si prospère à notre agriculture. Que deviendront alors les quinze cent mille familles de vignerons et les deux millions d’intermédiaires qui ont vécu jusqu’ici des produits de la vigne ? Ce n’est point sans tristesse que nous voyons leur avenir aussi gravement compromis.


E. VIDAL.