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surmonté de deux têtes, parfois elles s’isolaient, se ramassaient sous leurs pieds ou s’allongeaient démesurément et se décapitaient dans le renfoncement des portes. » Que l’on puisse tirer de là quelquefois des effets vraiment curieux, je ne le nierai point, ou plutôt, je conviendrai volontiers que M. Guy de Maupassant et M. Karl Huysmans eux-mêmes en ont rencontré plus d’un. Faut-il aller jusqu’à dire que certains coins du Paris contemporain n’ont pas été plus fidèlement observés par M. Zola que par M. Huysmans, et que Flaubert eût à peine mieux rendu que M. de Maupassant certains aspects de la nature normande ? On le peut, et nous le disons, et nous avons même le devoir de le dire, car autrement on serait en droit de nous demander pourquoi tant s’occuper de M. de Maupassant et de M. Huysmans. Mais nous croyons après cela que ce que l’on en tire surtout, et le plus souvent, ce sont des effets comiques, beaucoup plus comiques peut-être que ne le savent leurs auteurs eux-mêmes.

Jusque dans les œuvres des maîtres, et plusieurs lois déjà, nous avons signalé cette remarquable affinité du roman naturaliste pour le vaudeville et la grosse farce. Bouvard et Pécuchet, que sont-ils, je vous le demande, que deux maniaques échappés du théâtre des Duvert et Lauzanne ? et, bien avant Pot-Bouille, Trublot, le monsieur qui suit les bonnes, n’appartenait-il pas, vous le savez, au répertoire du Palais-Royal ? Si bien qu’après avoir jadis traité du plus outrageux dédain « dramaturges » et « vaudevillistes, » enveloppés à la fois dans la même sentence, il me paraît maintenant plus évident chaque jour que les naturalistes ne sauraient autrement finir que par leur ressembler. La vulgarité soutenue des sujets où ils se complaisent, toujours lus mêmes ; la façon dont ils les développent, qui ne manque de rien tant que de vérité vraie ; les énormes drôleries qu’ils mettent dans la bouche de leurs personnages ; tout enfin, — jusqu’aux noms qu’ils fabriquent industrieusement pour les en affubler, — les achemine, en dépit d’eux, vers cet écueil de toutes leurs prétentions. Et comment, à vrai dire, se défendraient-ils de s’y venir heurter si leurs procédés, comme on vient de le voir, ne sont autres en principe que ceux de la caricature ? Mais, de plus, par une perversion de l’œil et de l’esprit tout à fait singulière, ils en sont arrivés à ce point, sous prétexte de naturalisme, qu’ils ne trouvent rien de si ridicule autour d’eux que ce qu’il y a de plus naturel ; tandis qu’inversement, ils n’aperçoivent rien de si digne de toute leur attention et de tout le scrupule dont leur art est capable, que ce qu’il y a de plus insignifiant et de plus risible au monde. Regardez-y d’un peu près. Les situations burlesques dont s’égayait jadis, avec plus de verve que de style, le toujours populaire auteur de la Pucelle de Belleville et de Monsieur Dupont, prennent à leurs yeux des aspects quasi tragiques. C’est précisément dans les