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que les spasmes et les convulsions de la douleur ? Je voudrais donc voir nos naturalistes effacer de leurs œuvres ce caractère de dureté. Il ne me semble d’ailleurs, je l’avoue, nullement drôle que l’on achète un journal d’un sou quand on ne peut pas y mettre quinze centimes, ni qu’une mère de famille, après le couvert ôté, fût-ce dans la même pièce, et par économie forcée, taille les robes de sa fille. — En second lieu, ces jeunes mandarins de lettres manquent trop aussi de pitié pour la grande foule de ceux qui up goûtent pas leur littérature, ni même aucune littérature, puisqu’aussi bien il y a de telles gens. Car enfin, je ne suis pas persuadé qu’il convienne de partager en deux l’humanité tout entière : d’une part, les imbéciles, et, de l’autre, les romanciers naturalistes.

On peut être honnête homme et faire mal les vers.

Mais c’est précisément ce qu’ils n’admettent pas sans peine, ou plutôt c’est ce qu’ils n’admettent pas du tout ; et peut-être est-ce là le principe de leur pessimisme. Au prix de la leur, dont je n’ai garde de médire, toute autre occupation leur paraît misérable. Ils ne pensent pas qu’il y ait d’autre intérêt en ce bas monde que de peser des syllabes et d’assembler des mots. Et ils ont le mépris du siècle parce que le siècle, comme ils disent, a la haine de la littérature. « Des Esseintes flairait une sottise si invétérée, une telle exécration pour ses idées à lui, un tel mépris pour la littérature, pour l’art, pour tout ce qu’il adorait, implantés, ancrés dans ces cerveaux étroits de négocians, exclusivement préoccupés d’argent et seulement accessibles à cette basse distraction des esprits médiocres, la politique, qu’il rentrait en rage chez lui et se verrouillait avec ses livres. » C’est de leur Flaubert encore qu’ils ont hérité cette singulière manie, que Flaubert avait lui-même héritée des romantiques. Mais positivement, quand ils parlent ainsi, ne se sent-on pas une démangeaison de les adresser à Sedaine, et de les mener entendre M. Maubant lui-même réciter le couplet célèbre : « Un négociant, mon fils ! ., quelques particuliers audacieux font armer les rois,.. mais ce négociant, anglais, hollandais, russe ou chinois, n’en est pas moins l’ami de mon cœur ; et nous sommes sur la superficie de la terre autant de fils de soie qui tient ensemble les nations… Voilà, mon fils, ce que c’est qu’un honnête commerçant. » Comme si jamais ou nulle part, excepté du temps des romantiques, — et à la Chine peut-être aussi, puisque M. Vanderk nous y fait penser, — ou s’était avisé d’isoler les « lettrés » du reste des hommes et de couper ainsi l’art de ses communications avec la vie ! Pas plus d’ailleurs que nous ne nous sommes engagé tout à l’heure sur le terrain de la « philanthropie, » pas plus nous ne voudrions ici nous