Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/722

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Madrid, où la session des chambres d’Espagne vient de se clore après une discussion où toutes les politiques se sont trouvées en présence. Cette discussion, qui a duré cinquante jours, pour aboutir au vote d’une réponse au discours du roi, a été certes des plus brillantes. Peu de parlemens européens, aujourd’hui, égalent en éloquence le parlement espagnol, où il y a des chefs d’opposition comme M. Castelar, M. Sagasta, M. Moret, le général Lopez Dominguez, mais où il y a aussi des chefs et des orateurs du gouvernement comme M. Canovas del Castillo, M. Pidal y Mon, M. Romero Robledo. Il y a eu des momens, dans ces derniers débats, où la lutte a eu un éclat singulier, par exemple lorsqu’elle s’est resserrée entre le plus séduisant des orateurs, M. Castelar, et M. Pidal, ou entre M. Sagasta et M. Canovas del Castillo. Le ministère espagnol avait justement à se défendre contre des adversaires de tous les camps, libéraux constitutionnels, orateurs de la gauche dynastique ou républicains, qui l’accusaient de suivre une politique de réaction à outrance, d’être un gouvernement d’influence cléricale. Le président du conseil, M. Canovas del Castillo, a naturellement repoussé toutes ces accusations, et il s’est énergiquement défendu en déclarant une fois de plus qu’il était avant tout un constitutionnel résolu à maintenir intacte la royauté, prêt à accepter tous les concours, bien décidé, néanmoins, à ne pas entrer en connivence avec ceux qui, par degrés, par des complaisances pour les partis extrêmes, livreraient la monarchie à ses ennemis. C’est sa politique, et il la développe avec autant d’habileté que de force. Le ministère, avec sa majorité, n’a point eu de peine à avoir le dernier mot au scrutin qui a clos ces brillantes luttes de la parole. Le malheur, a voulu, cependant, que de ces débats il sortît un incident fort imprévu, presque une querelle avec l’Italie. Comment cela a-t-il pu se faire ? Le ministre des travaux publics, M. Pidal, en faisant assaut d’éloquence avec M. Castelar, en parcourant avec lui toutes les régions de la politique et de l’histoire, a prononcé quelques paroles de sympathie sur le pouvoir temporel du pape. Ces paroles ont dû être transmises à Rome dénaturées ou exagérées, et le fait est qu’il s’en est suivi entre le gouvernement italien et le cabinet de Madrid un échange d’explications qui finit à peine. C’était beaucoup pour un simple incident oratoire, pour quelques paroles qui ne touchent nullement aux relations des deux pays, qui n’impliquent en rien un changement de la politique espagnole. M. Canovas del Castillo n’a éprouvé aucune difficulté à le déclarer, et M. le ministre des affaires étrangères Mancini peut être assuré aujourd’hui que l’Espagne ne médite aucune expédition de Rome pour la restauration du pouvoir temporel du pape.

CH. DE MAZADE.