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pas se comprendre et s’accorder un jour, et cette entente, il travaille timidement à la provoquer, il s’ingénie en secret à la rendre plus aisée, il se promet, en grandissant, d’en être le témoin et l’auteur.

Tel a été, souvent à leur insu, l’histoire de certains esprits de notre temps. Beaucoup ont, dès leur adolescence, souffert des dissentimens de la foi qui avait souri à leur berceau et du siècle dont ils avaient hérité les ardeurs et les ambitions. En face de cette sorte de divorce moral dont tant de jeunes âmes ont ressenti les amertumes, la plupart, après des luttes plus ou moins longues et plus ou moins cruelles, se sont résignés à faire un choix : les uns ensevelissant dans leurs pieux souvenirs comme une morte aimée la sereine foi de leur enfance ; les autres étouffant en eux comme des démons malfaisans les austères aspirations de la science et de la liberté. Ce choix si souvent déchirant, quelques-uns, les plus heureux à coup sûr, le repoussent, n’en ayant pas le dur courage ou n’en reconnaissant pas l’odieuse nécessité. Ils ne veulent point séparer dans leur affection la mère de leurs âmes, la tendre et noble mère dont les leçons ont façonné leur cœur aux fortes et délicates vertus, et le père allier de leur intelligence, l’esprit moderne qui leur a inculqué le viril amour de la liberté et du progrès. Au lieu d’opter entre eux, ils se font un devoir de les rapprocher ; ils cherchent à les convaincre qu’ils ne se combattent que parce qu’ils se méconnaissent.

Ainsi ont fait, nous semble-t-il, dès la première moitié du siècle, les catholiques dits libéraux[1]. Enfans soumis de l’église et fils de la France contemporaine, ils n’ont pas consenti à les isoler dans leur cœur. Se refusant à croire que l’amour de l’une exclût le respect et l’affection de l’autre, ils ont entrepris de mettre fin à une lutte dont les sociétés modernes ne leur semblaient pas moins souffrir que les jeunes âmes. Ils ont tenté de les réconcilier, de leur prouver qu’elles pouvaient, qu’elles devaient même s’aimer et s’entendre, sans se laisser décourager par aucune froideur ou aucune rebuffade. C’était là assurément une tâche qui n’avait rien de bas ni de banal, dont le succès, quelque illusoire qu’il pût sembler, était presque aussi désirable pour l’esprit que pour le cœur, et ceux qui, dans leur jeunesse, ont conçu cette haute ambition

  1. Le lecteur remarquera que, dans tout le cours de cette étude, nous nous sommes interdit l’expression, fréquemment employée par d’autres, de catholicisme libéral. C’est qu’à nos yeux, c’est là un terme à tout le moins impropre, qui a le tort de prêter à l’équivoque. Ainsi que nous le rappellerons plus loin, il n’y eut jamais là, en effet, de catholicisme d’un genre particulier. Jusque chez les plus hardis d’entre eux, le libéralisme de ces catholiques libéraux est toujours demeuré d’ordre politique, entièrement étranger à la sphère religieuse.