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sur ce continent, sur cette vieille terre française d’où devait, avec nos assemblées et nos armées, sortir le renouvellement violent de l’Europe, le moyen âge, l’âge de la foi n’avait-il pas de tous côtés semé des germes de liberté, et, si l’éclosion ou le développement en a été arrêté, la faute en revient-elle à l’église ou bien aux rois, à la noblesse, à la bourgeoisie ? La notion de liberté politique est antérieure à la révolution aussi bien qu’à la réforme ; et, alors même que la révolution, et avec elle l’extrême démocratie qui prétend la pousser jusqu’à ses dernières conséquences, serait réellement incompatible avec le catholicisme, les catholiques n’en garderaient pas moins le droit de se réclamer des libertés civiles pour lesquelles en Italie, en Espagne, en Hongrie, en Flandre, en France même, leurs ancêtres ont plus d’une fois combattu. Les libertés politiques auraient beau avoir été conquises sans eux et malgré eux, que rien ne pourrait leur interdire d’en faire leur profit, ni personne les contraindre à s’en laisser frustrer.

Aucunes divergences de principes ne sauraient obliger un catholique à se meure en dehors du droit nouveau et à s’exiler lui-même de la liberté. Il peut, en conscience, prendre place au large banquet où tous sont conviés. S’ils éprouvent des scrupules, s’ils trouvent dans notre société le mal égal ou supérieur au bien, les catholiques ont la ressource de distinguer entre les libertés publiques et la révolution, sans même être les seuls à se permettre une pareille distinction. Ils peuvent séparer les principes ou les erreurs de la révolution de ses effets pratiques, admettre les uns sans adhérer aux autres. Le distinguo n’est-il pas le procédé habituel des théologiens ? En vain leur objecterait-on qu’en bonne logique ils sont mal fondés à repousser les principes en acceptant les résultats, ces derniers sont un fait qu’il faut subir bon gré mal gré, un fait que tout homme clairvoyant est contraint de regarder comme acquis et inévitable, alors même qu’il en serait le plus choqué et blessé. N’est-ce pas là, en réalité, devant notre société moderne, en face de l’ascendant croissant de la démocratie, le sentiment de beaucoup d’hommes de notre temps : catholiques, protestans, israélites, libres penseurs ?

Il faut prendre garde, du reste, de s’exagérer en semblable matière l’autorité de la logique et la valeur des considérations abstraites. La logique ou l’illogisme, dans la sphère politique surtout, sont loin d’avoir toujours l’importance qu’on est tenté de leur prêter. La logique reçoit de la vie, des intérêts et des passions, de fréquens et éclatans démentis. Minime dans tous les camps est le nombre des hommes entièrement menés par des déductions théoriques. Si l’aiguille aimantée dévie parfois du pôle, bien autres sont les écarts