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allant résolument jusqu’au bout de leurs idées. Révoltés contre cette alliance surannée des deux pouvoirs qui faisait retomber sur la croix les haines suscitées par les fleurs de lis, ils s’étaient promis de soustraire l’église à cette sorte de supplice de Mézence et de la détacher aux yeux des peuples du cadavre de la royauté à laquelle, depuis la restauration, elle semblait enchaînée. Non contens de briser les liens du clergé et de la dynastie déchue, ils se donnaient pour mission de rompre à jamais l’indécente union du sacré et du profane, du temporel et du spirituel, de séparer la cause du catholicisme de celle de tous ses fragiles appuis terrestres. La Mennais ne s’arrêtait pas là ; de son œil d’aigle il embrassait l’intérêt de la société civile aussi bien que l’intérêt de la religion. Allant du premier coup au fond du problème, devançant Tocqueville et Quinet, il aperçoit dans le divorce de l’église et de la société, du christianisme et de la liberté, le principe secret des stériles révolutions dont la frêle monarchie de juillet avait la présomption de prétendre marquer le terme. En unissant la cause de la religion à celle de la liberté, La Mennais se flattait de préparer le triomphe durable et pacifique de celle-ci. Ces hautes et fortes pensées, tant de fois et si vainement reprises depuis, l’Avenir les formule en termes magnifiques que n’ont jamais surpassés ni les chrétiens désireux de réconcilier la foi avec la société, ni les philosophes anxieux de voir la liberté politique privée chez nous de sa base la plus solide ou de son frein le plus efficace, le sentiment religieux.

Quel admirable début que les premières pages de l’Avenir et quel journal a jamais tenu à notre siècle un plus noble langage ! Debout sur le vaste champ de ruines accumulées en moins d’un demi-siècle, entouré des décombres de tant de régimes écroulés, monarchie absolue, république, directoire, empire, monarchie selon la charte, le solitaire à la langue biblique cherche ce qui à travers tous ces bouleversemens survit au fond du cœur des hommes, et il y découvre deux choses seulement : Dieu et la liberté. « Unissez-les, s’écriait-il, tous les besoins intimes et permanens de la nature humaine sont satisfaits ; séparez-les, le trouble aussitôt commence et va en croissant jusqu’à ce que leur union s’opère de nouveau[1]. » A l’entendre (et combien de voix orthodoxes ou non nous ont depuis cinquante ans renvoyé l’écho de pareils regrets ! ) la cause fondamentale des commotions de nos vieilles sociétés chrétiennes, de la France en particulier, c’est qu’un concours de circonstances « qu’on ne déplorera jamais assez a mis momentanément en opposition la religion et la liberté, deux choses qui ne

  1. Avenir du 11 octobre 1830.