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peuvent plus vivre l’une sans l’autre. » Et d’où ce divorce, pourquoi les hommes s’effraient-ils de Dieu ? C’est qu’ils trouvent la servitude près de l’autel ; c’est que, aux yeux des peuples, le catholicisme et le clergé asservis se sont rendus complices des pouvoirs qui avaient planté leur tente sur les débris de la liberté. De là, d’après La Mennais, les colères passionnées du XVIIIe siècle et de la révolution contre la religion ; de là les défiances des peuples pour le christianisme, dans lequel ils ne voient qu’un instrument d’esclavage, et, par un inévitable retour, les défiances des catholiques pour tout ce qui se présente au nom de la liberté, nom qui réveille en eux trop de pénibles souvenirs et se confond dans leur esprit avec la haine du christianisme.

La tâche ainsi comprise était grandiose, le problème bien posé. Il s’agissait avant tout de détruire les préjugés de part et d’autre, de prouver aux libéraux que le catholicisme n’avait rien d’incompatible avec la liberté, et aux catholiques que la liberté suffisait à tous les besoins de la religion. La démonstration de l’Avenir était éloquente, le langage de La Mennais et de ses jeunes amis entraînant, l’heure propice. Parmi les catholiques désabusés par les déceptions de 1830, dans le jeune clergé surtout, ces séduisantes doctrines trouvaient faveur. Les exemples du dehors, les mouvemens des peuples et les révolutions mêmes semblaient apporter aux thèses de l’Avenir l’appui retentissant et irréfutable des faits. Aux hésitans La Mennais munirait la Belgique, l’Irlande, la Pologne, où la cause de l’église se confondait avec celle des libertés nationales ; la Belgique, où une révolution, entreprise au nom des libertés publiques, était en train d’affranchir la religion en même temps que le pays ; l’Irlande, où, pour conquérir l’émancipation des catholiques, O’Connell, alors l’athlète le plus populaire de la foi, le Samson de l’église opprimée, ne demandait d’autres armes que la presse libre et la libre parole. Quels argumens que de tels exemples pour un pareil polémiste ! L’Irlande et la Belgique exerçaient sur la jeunesse catholique une influence qui se prolongea durant tout le règne de Louis-Philippe. Elles valurent à l’Avenir une bonne part de sa popularité, et à La Mennais plusieurs de ses plus illustres disciples, Montalembert notamment. C’est du fond de l’Irlande, en quittant O’Connell dont il devait plus tard être appelé le pupille, que Montalembert, âgé de vingt ans, accourait pour se ranger autour de La Mennais, et ses premiers articles de l’Avenir étaient un appel en faveur de l’Irlande et de la Pologne.

Dans son ardeur pour la cause des peuples catholiques opprimés, l’Avenir inclinait à la politique de la gauche, à la politique de guerre et d’émancipation des nationalités. Ce n’était pas là sa seule