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la liberté et n’a besoin que d’elle ; et aucune voix ne s’élevait alors parmi ceux qui avaient autorité dans l’église pour nous contredire et même pour nous avertir[1]. » Les doctrines de liberté et de droit commun semblaient universellement acceptées et « affichées » par les catholiques de France comme par ceux des pays voisins. Le clergé proclamait d’une voix presque unanime la possibilité et la nécessité d’une entente entre l’église et l’état moderne sur le terrain des libertés politiques. L’un des prélats les plus en vue et les moins suspects d’entraînement, M. Parisis, évêque de Langres, ne craignait pas, dans ses Cas de conscience, de se prononcer pour l’accord de la doctrine catholique avec la forme des gouvernemens modernes, Et ces vues des prêtres et des évêques, les journaux qui depuis se sont constitués les juges des doctrines et les censeurs de l’épiscopat, loin de les désavouer, étaient les plus ardens à les répandre. L’Univers faisait sans scrupule, pour la liberté de la presse et la liberté des cultes, les deux libertés en apparence condamnées par l’encyclique Mirari vos, ce que tous les catholiques faisaient pour la liberté d’enseignement. « La liberté des cultes est chose sacrée pour nous, disait l’Univers, et si nous la revendiquons en notre faveur, nous la voulons au même titre pour toutes les sectes dissidentes. » — « Nous aimons plus la liberté que nous ne redoutons le mal qu’elle peut faire, » écrivait M. Louis Veuillot, le futur adversaire et dénonciateur des catholiques libéraux[2].

Catholiques libéraux, tous les catholiques l’étaient alors plus ou moins. Certes, à travers cette conformité d’opinion et cette unité d’action, on pouvait déjà apercevoir entre eux des différences de goûts, de tempéramens, de tendances. Les uns avaient dans la liberté une foi plus confiante, plus robuste ; les autres ne la réclamaient que par politique et pour ainsi dire sous bénéfice d’inventaire. Pour leur jeune chef, pour le fils des croisés, qui l’avait saluée dès les premiers balbutiemens de sa parole et qui, au seuil de la vieillesse, devait encore dire d’elle : « Je l’adore[3], » la liberté était comme une dame dont il était fier de porter les couleurs et qu’à travers ses passagères défaillances il servait avec une chevaleresque passion, toujours prêt à rompre une lance pour faire confesser à tout venant qu’elle était la plus belle. On n’eût pu demander à tous le même amour, mais tous combattaient avec la même devise sous la même bannière, les uns plus prudens et plus réservés, les autres plus ardens et plus confians, mais tous unis, marchant la main dans

  1. Montalembert, Avant-propos de ses Œuvres, p. 20.
  2. Textes tirés de l’Univers de 1845 à 1849 et cités avec d’autres analogues par le biographe de M. Dupanloup, t. Ier, p. 348.
  3. Montalembert, Moines d’Occident, Introduction, dernier chapitre.