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pareille alliance, le fougueux polémiste la condamnait comme une faiblesse ou une duperie, reprochant à M. Thiers de « garder tous ses vieux et mauvais sentimens, » se refusant à traiter « comme l’espérance de la religion » un homme « qui voulait fortifier le parti des révolutionnaires contens et repus, dont il était le chef, d’un corps de gendarmes en soutane à cause de l’insuffisance manifeste des autres[1]. » Dans sa répulsion pour tous les compromis d’où était sortie la loi, qu’il qualifiait de manque de foi, le chef des intransigeans se vantait de s’être opposé à l’entrée au ministère de l’homme politique auquel, plus qu’à tout autre, les catholiques devaient la liberté d’enseignement et la restauration du trône pontifical, accusant M. de Falloux de n’être pas « un catholique avant tout, » et lui disputant, pour le transférer au futur allié de Cavour, le mérite devant l’église de l’expédition de Rome[2].

On voit par ces lettres privées, mieux encore que par l’aigre polémique de la presse, combien graves étaient les dissentimens qui séparaient les catholiques. Ceux qui avaient le plus fait pour l’église, ceux auxquels la religion et la papauté devaient leur triomphe de 1849 et 1850, allaient bientôt se voir dénoncer publiquement comme leurs plus dangereux ennemis. Désormais les fidèles et le clergé allaient se trouver partagés « en deux camps en conflit sous le même drapeau[3]. » Toute l’histoire du parti catholique depuis 1850 n’est plus qu’une longue guerre civile, et, dans cette guerre envenimée par les ressentimens et les rancunes de toutes les luttes intestines, les libéraux et les politiques devaient avoir le chagrin de voir la faction adverse perdre par ses témérités ou compromettre par ses folles provocations tout ce qu’ils avaient conquis par vingt ans de sagesse.


ANATOLE LEROY-BEAULIEU.

  1. Lettre à M. Rendu, évêque d’Annecy.
  2. « Je n’ai jamais compté sur lui (M. de Falloux). Quoique chrétien plein de ferveur, il n’a jamais été des nôtres, ce que nous appelons un catholique avant tout. Il l’a cru et beaucoup d’autres comme lui ; il le croit encore peut-être. Moi, je ne m’y suis point trompé, et j’étais si fixé sur ce point avant le 10 décembre 1848 que j’ai beaucoup insisté, dans un conseil qui a été tenu entre nous, pour qu’il n’entrât pas au ministère. Ma vraie raison, que je n’ai point osé dire, était qu’il laisserait nos idées à la porte. Il n’y a point manqué. C’est un homme d’accommodement, de transaction et d’affaires, avec beaucoup plus d’ambition qu’il ne suppose en avoir. M. Dupanloup de même. Ce n’est pas M. de Falloux, comme on le pense, qui a rétabli le pape, c’est le président, qui a mis dans toute cette affaire une volonté inflexible et beaucoup de cœur, etc. » (Lettre à M. Rendu, évêque d’Annecy, 2 août 1849.)
  3. M. de Falloux, le Parti catholique.