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proclamait la souveraineté du peuple, elle appelait les nations à l’indépendance : les Belges voulaient être libres, et bien qu’ils entendissent faire de leur liberté un usage différent de celui qu’en faisaient les Français, ils pouvaient s’accorder avec eux sur le principe même de leur affranchissement. Dumouriez jugeait nécessaire de ménager ces dispositions, qui étaient celles de la majorité. Il y avait aussi en Belgique un parti de démocrates qui professaient les idées françaises ; tout en gardant ses faveurs pour ce parti, Dumouriez pensait qu’il ne convenait point de le soutenir exclusivement, encore moins d’en imposer la domination par la force. La France laisserait donc les Belges disposer d’eux-mêmes, ce qui était à la fois conforme à ses principes et à son intérêt. Les commissaires de la convention qui se trouvaient à l’armée du Nord étaient tellement pénétrés de ces idées qu’ils refusèrent de suivre les troupes en Belgique, « ne voulant pas, disaient-ils, donner par leur présence à l’expédition le caractère d’une invasion politique, et pour ne pas violer, même indirectement, le principe de la souveraineté du peuple. »

Le 6 novembre, les Autrichiens présentèrent la bataille aux Français entre Mons et Jemmapes. Dumouriez enleva ses troupes : ses dispositions étaient bonnes, il paya intrépidement de sa personne. Les républicains culbutèrent les impériaux. La Belgique était ouverte. Une effroyable panique se répandit dans Bruxelles. Le gouvernement perdit la tête et partit, ouvrant les prisons, déchaînant les bandits et livrant d’abord aux malfaiteurs la ville qu’il abandonnait à l’ennemi. Les nobles s’enfuirent. Leurs voitures s’entassaient sur les routes. Les plus misérables étaient les émigrés français, car ils savaient qu’à leur égard le vainqueur serait sans merci. Fersen, qui assistait à ces scènes lugubres, nous les montre « sans argent, sans ressources, au désespoir. C’était un spectacle déchirant : des jeunes gens et des vieillards du corps de Bourbon étaient demeurés en arrière, pouvant à peine se traîner avec leur fusil et leur sac ; d’autres voyageurs, à pied et en charrettes, portant le peu qu’ils avaient pu emporter. Il y avait même des femmes comme il faut allant à pied, les unes portant leur enfant sur le bras, d’autres un petit paquet. » Cette cohue déplorable s’écoulait vers l’est, au milieu des chariots qui s’encombraient, pressée, écrasée par les troupes qui battaient en retraite.

Poussant devant eux cette sinistre déroute de l’ancien régime, le républicains triomphans entrèrent, le 14 novembre, dans Bruxelles. Les magistrats apportèrent à Dumouriez les clés de la ville. « Citoyens, leur dit-il, gardez vos clés vous-mêmes et gardez-les-bien. Ne vous laissez plus dominer par aucun étranger ; vous n’êtes point faits