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seulement de montrer à quel point on s’attachait à mettre les chemins de fer piémontais complètement dans la main de l’état. C’était à une pensée politique qu’ils devaient la naissance et ils étaient combinés presque exclusivement en vue de la défense du pays. Il est à peine besoin de faire remarquer que, bien que Turin fût la capitale du royaume, le véritable centre de ce premier réseau était Alexandrie, la principale forteresse et le grand arsenal du Piémont ; on fit également converger vers cette forteresse les plus importantes des lignes qui furent décrétées plus tard, notamment les lignes dirigées vers Plaisance et Pavie : la ligne directe de Turin à Novare et au Tessin ne fut entreprise qu’après plusieurs années.

L’administration piémontaises s’était mise courageusement à l’œuvre ; mais la désastreuse campagne de 1848 vint apporter une interruption dans ses travaux et obéra les finances du petit royaume. Les embarras d’argent n’étaient pas, d’ailleurs, le seul obstacle à vaincre. On compte en Europe peu de lignes dont l’exécution ait présenté autant de difficultés et exigé des travaux aussi considérables que celle de Turin à Gênes. Entre la capitale et Alexandrie, cette ligne traverse en tunnels les faîtes qui séparent les vallées du Pô et du Tanaro ; elle franchit le premier de ces fleuves sur un pont de neuf arches et le Tanaro sur un pont de quinze arches de 10 mètres d’ouverture. D’Alexandrie à Gênes elle rencontre les torrens de la Bormida, de la Scrivia et, par une série de tunnels et de viaducs, elle arrive à Busolla, son point culminant, d’où elle redescend à Gênes, ayant à racheter sur un parcours de moins de 23 kilomètres une différence de niveau de 345 mètres. La traversée des Apennins nécessita la construction de six tunnels dont l’un, celui des Giovi, a 3,200 mètres. D’une exécution moins dispendieuse, la ligne d’Alexandrie au lac Majeur exigea cependant un tunnel de 3,228 mètres et un viaduc sur le Pô de vingt et une arches de 20 mètres d’ouverture, capables de donner passage, lors de la crue des eaux, à 10,000 mètres cubes d’eau par seconde. De tels ouvrages n’ont rien d’insolite aujourd’hui, avec l’expérience qu’on a acquise dans la construction des voies ferrées et avec les moyens d’exécution dont les ingénieurs disposent, mais les chemins de fer étaient alors à leur début, et ces travaux firent grand honneur à L’administration piémontaise.

Elle y apporta, en effet, autant d’économie que d’habileté ; la ligne de Turin à Gênes revint à 640,000 francs le kilomètre avec le matériel roulant, celle d’Alexandrie au lac Majeur à 240,000 francs seulement. Néanmoins, une dépense d’environ 150 millions était une lourde charge pour un petit état. Aussi le Piémont renonça-t-il à poursuivre l’exécution directs des lignes commencées en Savoie :