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irriter le public anglais, à pousser le gouvernement à la guerre. Si la France voulait l’éviter, elle le pouvait peut-être encore, mais il était temps de s’arrêter, et le plus urgent était de rassurer les Anglais sur l’article de la Hollande.

Le conseil exécutif en eut le sentiment ; il chargea Chauvelin d’entamer une nouvelle négociation avec l’Angleterre et contre-manda l’expédition de Hollande. La lettre qui en informait Dumouriez est du 6 décembre. Elle le trouva fort découragé. Avec les fumées de la bataille ses illusions s’étaient envolées. Il avait retrouvé sa clairvoyance, et c’était pour compter les obstacles qui se multipliaient autour de lui. Il écrivait à Lebrun, le 18 décembre :


Le dénûment de nos armées prouvé par les plaintes de tous les généraux, les efforts que vont faire l’Autriche et la Prusse au printemps, la marche des Russes, l’armement de l’Angleterre, le peu de cohérence, j’oserais presque dire l’espèce d’anarchie dans laquelle nous existons, tout va se réunir contre nous… — D’un autre côté, les plans très fâcheux qu’on prend pour opérer la révolution de la Belgique, au lieu d’exciter les peuples à la liberté, ne feront que leur inspirer une juste haine contre leurs libérateurs. La Belgique elle-même ne fournira que des ennemis à combattre. Nous n’avons pas une seule place forte, soit pour arrêter l’ennemi extérieur, soit pour tenir le peuple en bride. Attaqués par tous les côtés, nous en serons chassés plus facilement que nous n’y sommes entrés. Voilà ce que je prévois. Je désire de tout mon cœur avoir tort, mais j’ai tout lieu de craindre de ne pas m’être trompé.


Il disait la vérité, mais il ne disait pas toute sa pensée. Le fait est qu’il se trouvait déçu dans toutes ses espérances et se voyait menacé dans tous ses intérêts. En partant pour la guerre, il comptait en revenir dictateur : il avait la victoire, mais la dictature ne se dessinait pas. Loin de là, sa popularité diminuait. On l’attaquait à Paris. Il se sentait suspect, et comment ne l’eût-il pas été ? Il haïssait les jacobins ; il se savait détesté par eux. Il méditait de les anéantir ; ils en avaient le soupçon, ils le dénonçaient. S’il voulait « travailler en grand, » il n’avait plus de temps à perdre. Il avait trop parlé ; désormais il était compromis. Au train dont allaient les choses, le moment était proche où il n’aurait plus à choisir qu’entre un coup d’état, l’exil ou la guillotine. Son choix était fait depuis longtemps.

Comme la plupart des étrangers, qui voyaient les choses du dehors et concluaient d’après les précédens, comme plus d’un philosophe sceptique et plus d’un roué, Dumouriez avait eu de bonne