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III

Il avait réuni environ 45,000 hommes. Il estimait que les Autrichiens n’en pouvaient pas mettre en ligne plus de 50,000. Il marche sur eux et, le 16 mars, les bat à Tirlemont. Ce succès rend de la confiance aux troupes. Dumouriez n’en considérait pas moins sa situation comme très grave. Il n’en dissimule pas le danger. Il tend même à le grossir : en cas de victoire, il augmentera ainsi son mérite ; en cas d’échec, il diminuera sa responsabilité. C’est avec cette réserve qu’il faut lire les lettres si animées, si colorées, par momens même si pathétiques, qu’il adresse au cours de cette campagne au ministre de la guerre, Beurnonville. Plusieurs ont été communiquées à la Convention et publiées, sauf quelques lacunes. Je cite, de préférence, celles que le gouvernement avait retenues. Dumouriez écrit, le 17 mars, de Tirlemont :


Quoique j’aie fait reculer hier le prince de Cobourg, avec toute son armée, je n’en suis pas moins dans la position la plus terrible où on se soit jamais trouvé. L’armée est sans souliers et sans habits. Je suis dans un pays où il n’y a pas de fourrages, et je n’ai pas de quoi faire subsister ma cavalerie ni de moyens pour traîner mon artillerie. Si j’avance, mes ressources diminuent encore, et je suis dans le cas d’être entièrement perdu… Si nous avions le moindre revers, l’insurrection serait générale contre nous, au moins dans les environs de notre armée.


Le 18, il attaqua l’ennemi dans Nerwinde. Il emporta le village ; mais son aile gauche, accablée par Clerfayt, se débanda. Dumouriez, craignant d’être enveloppé, se retira. Il n’avait point été battu, à proprement parler ; mais, dans les conditions où se trouvaient ses troupes, cette marche en arrière devenait un désastre. L’armée se rompit. « Beaucoup de corps ignorent les noms des généraux qui les commandent et vont errant de village en village, » écrivait un officier. Dumouriez mesura le danger, il en définit les causes, il essaya d’en indiquer le remède. Le 22 mars, il écrivait à Beurnonville :


Il est temps de raisonner très en grand sur notre situation et de penser aux moyens de sauver la France et l’armée. Vous savez que j’ai toujours dit, comme je pense, que les Pays-Bas ne peuvent se défendre