Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/83

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

délivrés par lui, il retenait les recettes et payait avec leur produit. De tels agissemens ne pouvaient être tolérés que de la part d’un homme dont l’intégrité était au-dessus de tout soupçon et dont les qualités étaient assez éminentes et les services assez grands pour qu’on fermât les yeux sur certaines irrégularités qui avaient l’intérêt public pour mobile. A force d’application et d’économie, le commandeur Bona arriva à des résultats inespérés et quand il résigna ses laborieuses fonctions, il put dire, non sans une légitime fierté, qu’entre ses mains le réseau piémontais non seulement avait couvert ses dépenses, mais avait encore rapporté 5 pour 100 des sommes qu’il avait coûtées à l’état. Si remarquable que soit ce fait, il n’autorise point à donner la gestion trop indépendante du commandeur Bona comme un exemple à suivre par les administrations publiques ; mais si l’on remontait aux débuts de quelques-unes de nos grandes compagnies de chemins de fer, on serait amené à reconnaître que le despotisme intelligent et l’énergie de leurs premiers directeurs n’ont pas été sans influence sur la forte organisation de leurs services et sur les habitudes de discipline et de régularité de leur personnel.

L’Autriche n’avait pas attendu l’exemple du Piémont pour se mettre à l’œuvre. Quelques critiques que l’on puisse adresser à sa manière de gouverner l’Italie, on ne saurait refuser à l’administration autrichienne le mérite d’avoir toujours montré un souci intelligent des intérêts matériels des populations. Les chemins de fer destinés à desservir les provinces lombardes et vénitiennes furent les mieux entendus et les plus soigneusement construits de la péninsule. Sans aucun doute, les considérations stratégiques, la préoccupation de relier entre elles les places fortes qui étaient les points d’appui de sa domination, la nécessité de mettre les provinces italiennes en communication rapide avec le reste de l’empire, tinrent la première place dans la pensée du gouvernement autrichien, mais elles ne lui firent pas perdre de vue les intérêts industriels et commerciaux. Les études qu’il entreprit, dès 1843, eurent pour objet de répartir équitablement les voies ferrées sur toute la superficie des pays soumis à son autorité et de n’apporter aucun trouble dans les relations traditionnelles des principales villes. Du reste, la configuration du sol se prêtait merveilleusement à l’établissement de chemins de fer à travers les riches plaines qui forment les vallées du Pô et de l’Adige ; aussi les parties rectilignes des chemins de fer lombards et vénitiens représentent- elles 76 pour 100 de la longueur totale : sur 22 pour 100 de cette longueur, la voie est en palier, et sur 54 pour 100, la déclivité ne dépasse pas 0m,005. Ces lignes, en les supposant bien entretenues, sont