Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/861

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je m’impatiente.

— Voyons, Zuleyka, où demeure la négresse? — Je ne sais pas.

— Et la femme chez qui elle doit me mener ? — Je ne sais pas.

Il y a de quoi être découragée. Je pars dans deux jours, et en voici huit que je poursuis cette leçon de kerzia, sans compter mes efforts infructueux à Tunis dans le même sens. Je ne suis pas encore faite au mirage insaisissable des renseignemens arabes.

— Qu’est-ce que tu as, Zuleyka? Pourquoi ne réponds-tu pas? — J’ai mal à la tête, répond languissamment la jolie fille, je n’ai pas dormi ; nous avons raconté des histoires toute la nuit. Tu peux attendre si tu veux...

Et elle ferme les yeux pour que je ne la dérange plus.

— Je ne veux pas attendre. Ya me chercher une voisine qui connaisse la négresse et qui me réponde plus que toi.

Elle se lève dolente, bâille, enfile ses babouches et va entr’ouvrir la porte sur la rue.

— Aïshouna ! crie-t-elle de toute la force dont les gosiers arabes ont le secret ; et elle revient s’accroupir sur le puits.

Au bout d’un moment, Aïshouna apparaît, et je reconnais une visiteuse de la veille. Elle n’a rien de séduisant, la pauvre fille ! Laide, grosse, au type mauresque le plus dégradé, et habillée à l’européenne, un tricot de laine de travers sur les épaules, une robe en alpaga, une vulgarité de cabaret. Mais elle est obligeante, empressée, et par le français.

— Oui, madame, la négresse est bien venue ce matin et repartie. Je ne sais pas où elle demeure, mais je sais où elle devait te mener, et je t’y conduirai si tu veux.

Certes, je le veux, et il me semble enfin touchera mon but.

En route, Aïshouna cause beaucoup, et je suis trop fatiguée de nos escalades par les petites rues escarpées pour l’interrompre.

Elle m’apprend qu’elle a été mariée, qu’elle « a séparé de son mari qui était très méchant; » pourtant elle s’était faite « renégat » pour lui ; et toute sa famille à elle l’a maudite à cause de cela et lui a disputé un héritage. Maintenant elle est servante dans le café voisin de chez Kéra, et elle monte rarement dans la vieille ville arabe, parce qu’elle a peur de rencontrer ses sœurs et d’être battue.

Je ne sais, à en juger sur l’apparence d’Aïshouna, si tous les torts ont été du côté du mari, car elle a une tenue très peu correcte, ma brave conductrice. Espérons que nous ne trouverons personne de sa famille sur notre chemin.

Nous montons toujours. Les ruelles sombres se succèdent, les maisons, vieilles, arcboutées sur des poutres qui en soutiennent les saillies surplombantes, se touchent du front. De temps en temps,