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diplomatiques avec Tourane : une soutane de prêtre, une figure de singe, le nœud du chignon très haut, et coiffé en mouchoir par là-dessus, comme un vieux pour se mettre au lit. Il fait tchintckinn et la révérence ; il dit : « Bonjour, messieurs ! » en français, avec ton air de s’offrir comme guide. Alors je lance ma baleinière sur le sable, et nous touchons la rive.

« Monsieur, Monsieur Hoé, ancien élève du collège d’Adran, interprète officiel de Sa Majesté Tu-Duc, » tels sont les titres qu’il -décline après sept nouvelles révérences (une pour chacun de nous). Il nous tend sa main de mauvais petit drôle, qui est couverte de verrues, avec des ongles de lettré chinois à n’en plus finir, et le voilà assis à mon côté.

Le mandarin, paraît-il, demeure là-bas, tout au fond, et nous continuons notre route dans la rivière.

Il y a, sur le sable que nous longeons, des guirlandes de grands liserons roses, et des tapis de ces fleurs de serre, — roses également, — qu’on appelle en France pervenches du Cap.

Les feuillages ont partout de ces nuances claires, éclatantes, que les Chinois aiment à peindre. Des daturas, des cactus ; des arbustes, un peu rabougris, mais d’une extrême fraîcheur ; des cocotiers, plantés çà et là comme des plumeaux verts ; des bambous frêles, plus hauts que des arbres, et gardant leurs délicatesses de graminées, se penchant, retombant avec des légèretés de folle-avoine.

Au milieu de cette verdure, assez jolie en somme, les maisons paraissent plus sordides, les hommes plus laids ; — les hommes à chignon et à soutane qui commencent à se montrer, à courir pour nous voir.

Les abords de Tourane s’animent. De vilains chiens maigres jappent après nous. Des porcs noirs, à la mine très éveillée, détalent ventre à terre, poursuivis par un troupeau de petits bœufs rouges, bossus comme des bisons. Des buffles énormes, à tournure d’hippopotame, se vautrent dans les hauts herbages ; ils baissent tout au ras de la terre leurs naseaux humides, leurs cornes formidables, et nous flairent, nous reniflent, en arrêt, prêts à nous fondre sus.

Voici maintenant une sorte de faubourg, des huttes en chaume tout au bord de la berge.

Des dames jaunes, d’une grande laideur, en sortent et s’avancent, les pieds jusque dans l’eau, pour mieux nous regarder passer. Elles sont en toilettes du matin. Elles tordent de superbes chevelures noires, rudes comme des queues de cheval, et affectent de les nouer devant nous en chignons négligés. Elles mâchent des feuilles de bétel et de la noix d’arek ; elles nous montrent, par de petits