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puis, d’où que viennent aux plantes alpines ou polaires la lumière et la chaleur estivales, elles présentent cette commune particularité de disparaître six à huit mois sous un tapis de neige, qui leur impose un long sommeil, une torpeur intermittente absolue, comparable à celle des animaux hivernans ; mais, d’autre part, ce tapis les protège et les soustrait à l’action directe du froid, sous les atteintes duquel la plupart d’entre elles succomberaient inévitablement. L’occlusion par la neige est donc une sauvegarde pour les végétaux qui la subissent, et comme, par leur port rampant, leur souche dure, courte et vivace, leur allure traçante et horizontale, ils offrent tous les caractères d’une étroite adaptation à cette existence « sous-nivale, » il est évident, aux yeux de ceux qui croient que les êtres adaptés sont antérieurs aux circonstances d’où leur adaptation est sortie, qu’il s’agit de végétaux très anciens dont le berceau commun doit être, par conséquent, reculé fort loin dans le passé.

Heer et Nathorst, entièrement d’accord, admettent que le froid de l’époque glaciaire aurait été assez violent pour favoriser l’extension dans toute l’Europe de la flore arctique, se substituant aux végétaux actuels de nos plaines et occupant celles-ci jusqu’au moment où le retour de la chaleur aurait obligé les plantes venues ainsi de l’extrême Nord à se réfugier sur les montagnes et à suivre les glaciers dans leur mouvement de retrait.

L’hypothèse est séduisante par sa simplicité. Aussi, bien des savans, ceux du Nord surtout, anglais ou Scandinaves, plus rapprochés que d’autres des plantes arctiques ou montagnardes, dont l’invasion à travers les plaines de l’Europe boréale ne demanderait, pour se réaliser, qu’une assez faible oscillation des climats, ont adopté sans difficulté cette manière d’envisager les choses. Divers indices tirés de la présence constatée des plantes alpines dans les tourbes et les sédimens glaciaires, sur des points de l’Allemagne et de la Suède où on ne les rencontre plus, sont encore venus appuyer le système. Que de difficultés pourtant à mettre de côté, que d’obstacles à peu près insurmontables à franchir, s’il fallait y ajouter foi ! On conçoit, à la rigueur, les plantes arctiques traversant l’Allemagne, devenue très froide, et atteignant les Alpes récemment soulevées ; mais ce n’est pas uniquement les Alpes ni les Carpathes qu’il s’agit de leur faire aborder, ce sont, plus au sud, les Pyrénées, les chaînes espagnoles, y compris la Sierra-Nevada ; plus loin encore l’Atlas, partout, en un mot, où des escarpemens s’élèvent assez haut pour dépasser le niveau de la végétation arborescente, Il faudrait donc concevoir un envahissement universel de l’Europe, convertie jusqu’aux confins du Sahara en une sorte de Groenland, tout au moins de Laponie norvégienne, où les arbres n’auraient été