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honte. En vain M. Paul Bert déclare-t-il que l’étude des sciences est propre à former des citoyens, parce qu’elle familiarise l’esprit avec l’idée de loi, tout autres sont les lois de la nature et les lois des hommes : les premières n’aident guère à l’intelligence des secondes. Nos programmes, chargés de calculs, d’analyses, de classifications, ne peuvent même pas contribuer à l’élévation morale et intellectuelle des esprits. Ce qu’on devrait enseigner, outre les principes élémentaires et pratiques des sciences, comprenant ce qu’un lettré même ne peut ignorer, ce sont les principes les plus spéculatifs et les résultats les plus généraux des sciences, en un mot leur philosophie. À ce prix seulement, la science a une vertu éducatrice ; à ce prix, elle élève l’esprit au lieu de meubler la mémoire ; à ce prix, elle est libérale au lieu d’être servile et utilitaire. Telle qu’on l’enseigne aujourd’hui, elle ne sert qu’à préparer, pour un jour d’examen, des réponses qui, un mois après, seront la plupart oubliées.

Mais la science même, dira-t-on, n’est-elle pas la recherche de la vérité, et cette recherche ne suppose-t-elle pas l’amour de la vérité, amour désintéressé, amour fait d’abnégation et parfois de sacrifices ? — Oui, certes, et c’est un grand homme de science qui a dit que la vérité se donne à la patience des savans, à la simplicité, au dévoûment tout autant qu’au génie ; les hautes idées ne s’épanouissent que dans une âme saine, « comme les fleurs des sommets ont besoin d’un air pur ; » mais autre chose est la recherche du vrai, autre chose la vérité déjà découverte et passivement enseignée. Dans l’instruction scientifique, telle qu’elle existe chez nous, on ne présente aux jeunes gens que des résultats acquis, sans leur apprendre au prix de quels efforts ils ont été acquis : ce ne sont plus que des vérités en quelque sorte refroidies, des vérités sans vie, des formules sans âme. Ce qui serait moralisateur, ce serait l’histoire des sciences et des savans, mêlée à l’exposition des sciences : mais on préfère apprendre aux élèves cent théorèmes de plus, cent formules de plus, qu’ils s’empresseront d’oublier. Ainsi enseignée, ainsi séparée de la philosophie et de l’histoire, la science n’a plus ni vertu morale ni portée civique ; elle abaisse souvent au lieu d’élever, elle fait des machines et non des hommes, encore bien moins des citoyens. Les sciences, selon l’heureuse expression de Tyndall, ne devraient pas constituer des branches de l’instruction, mais des moyens d’éducation ; en d’autres termes, il ne s’agit pas de remplir la tête des enfans, mais de leur apprendre à trouver par eux-mêmes, à penser, à raisonner, à observer. « Quand j’enseignais, dit Tyndall, je ne connaissais point du tout les règles de la pédagogie comme l’entendent les Allemands ; avec mes élèves, je ne faisais que leur attacher des ailes. » Nos programmes scientifiques, en France, semblent