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vous en présentera des poches entières à fort vil prix. » Rien d’étonnant dès lors que les Grecs et les Phéniciens aient constaté de bonne heure les propriétés d’une pierre qu’ils rencontraient si souvent sur leur chemin.


III

L’importance des pilotes s’est perpétuée à travers les âges, et c’est seulement de nos jours qu’on a pu croire un instant que la perfection de nos cartes, l’instruction supérieure de nos officiers, les notables progrès apportés dans nos méthodes de navigation allaient rendre à peu près superflu le recours à ces hommes pratiques dont la science ne s’étend guère au-delà des limites d’un horizon fort borné. On est bien revenu aujourd’hui de ; cette illusion : pour se passer des services d’un pilote, les meilleures cartes ne sauraient suffire ; il faudrait être un pilote soi-même. Le contre-amiral Bouvet, — le célèbre capitaine de la Minerve, de l’Iphigénie et de l’Aréthuse, — voulait que « nul ne pût être admis à faire partie du corps des officiers de la marine royale s’il n’était en état de répondre d’une manière satisfaisante à un examen sévère sur la pratique des côtes de France, l’entrée des ports, les sondes des passes et des baies, les mouillages, etc. » Je m’associerais volontiers à ce vœu, dont personne mieux que moi n’apprécie l’immense intérêt. Y pourrait-on pourtant de bonne foi satisfaire sans alléger, d’autre part, des mémoires et des intelligences qui succombent déjà sous le fardeau de jour eu jour plus pesant qu’on leur impose ?

La marine espagnole, la première marine européenne qui ait, avec la marine portugaise, constitué de grandes flottes marchandes pour l’exploitation du commerce d’outre-mer, s’en était rigoureusement tenue aux pratiques de l’antiquité. A côté du commandement militaire elle plaçait et multipliait les conseillers chargés de diriger la route. La casa de contratacion, — chambre de commerce — de Séville, payait fort cher et sans marchander ses pilotes, ainsi que le font d’ailleurs de nos jours nos grandes compagnies maritimes. En retour, elle exigeait d’eux une instruction complète, instruction attestée par les plus sérieux examens, « Si cela était bien gardé, observe avec raison le père Fournier, on ne verrait tant de naufrages comme l’on voit, plusieurs se croyant assez capables, lorsque pour trois ou quatre bouteilles de vin d’Espagne, ils ont obtenu leurs lettres de pilotes et croient qu’ils ont une suffisante excuse lorsqu’ils se voient échoués par leur ignorance, de dire que ç’a été par non-vue ou par des courans de mer inconnus. »

L’aspirant pilote espagnol devait adresser sa requête au