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connus et les moins explorés des mers de L’Inde, sont au-dessus de tout éloge. »

Si actif, si habile marin qu’on puisse être, quand l’effort se prolonge, on succombe infailliblement à la peine. Des capitaines ont voulu se passer dans l’Archipel grec de pilotes, sous prétexte qu’ils étaient de force à en remontrer à tous les pilotes de Milo. Leur confiance n’avait certes rien de présomptueux, l’opinion qu’ils entretenaient de leur savoir n’était pas exagérée. Seulement, comme ils ne pouvaient passer la nuit elle jour sur le pont, dormir sur le gaillard d’avant enveloppés dans le traditionnel caban du pilote, il leur est arrivé plus d’une mésaventure, et l’on a vu échouer sur les bancs de l’Hermus, à l’entrée même de la baie de Smyrne, un brick qui. avait cependant pour capitaine le meilleur officier de la station du Levant. Je n’aurais pas moi-même talonné avec le Furet sur les roches de la baie de Cadix si je n’avais imprudemment refusé les services du pilote venu à notre rencontre.

Je le répète donc, puisque l’antiquité elle-même m’y convie : « Il est absolument nécessaire que le stratège ait près de lui des gens qui connaissent les parages dans lesquels il navigue, aussi bien que ceux vers lesquels il pourra se diriger[1]. » Les officiers qui ont pris part aux croisières de l’année 1870 sur notre escadre de la Mer du Nord ou sur celle de la Baltique seront unanimes, je pense, à reconnaître la sagesse de ce conseil.


IV

Toutes les institutions du monde ne remplaceront pas le génie militaire ; c’est le caractère du chef qui remporte avant tout la victoire. La même marine donnera des résultats très différens, quand ce sera un d’Orves ou un Suffren qui tiendra le gouvernail. Néanmoins le propre des institutions est de permettre à la médiocrité même de faire encore assez bonne figure : sur le trône, si la fortune l’appelle à régner ; sur le champ de bataille, si le sort lui donne des armées à conduire. Il ne faut pas, autant que possible, rendre l’intervention du génie nécessaire, car le génie fut rare en tous les temps.

Je viens d’exposer les immenses avantages que présenterait une forte et complète constitution du pilotage : la sécurité d’une grande flotte ne serait cependant, pas suffisamment garantie par l’emploi des meilleurs pilotes, si la route à suivre n’était préalablement

  1. Ὅτι μὲν οὖν χρὴ πάντως ἔχειν μεθ' ἑαυτοῦ τὸν στρατηγὸν τοὺς εἰδότας τὰ ϰατὰ θάλατταν, δι ' ἦς ϰαὶ πρὸς ἤν ἀπαγόμεθα, φανερὸν.